Traoré: "A Rome, je survis"

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Propos recueillis par Thomas PISSELET , modifié à
A Rome depuis le début de saison, Ali Traoré a vécu des moments difficiles dans son nouveau club. "Je suis passé par des phases où j'étais vraiment dans le trou mentalement", avoue-t-il. Mais le pivot français, qui affrontera Barcelone jeudi soir lors de la 3e journée du Top 16 de l'Euroligue, a refait surface et garde des objectifs élevés. Y compris avec l'équipe de France.

A Rome depuis le début de saison, Ali Traoré a vécu des débuts difficiles dans son nouveau club. "Je suis passé par des phases où j'étais vraiment dans le trou mentalement", avoue-t-il. Mais le pivot français, qui affrontera Barcelone jeudi soir lors de la 3e journée du Top 16 de l'Euroligue, a refait surface et garde des objectifs élevés. Y compris avec l'équipe de France. Ali, quel bilan faites-vous de votre première moitié de saison à Rome ? Plutôt chaotique. En pré-saison, alors que je tournais plutôt pas mal, je me suis disloqué un doigt de la main droite. C'était deux semaines avant le début de la saison, pas génial pour l'intégration. Quand je suis revenu, c'était un peu la galère pour toucher des ballons et être dans le collectif. Donc, disons que ça a été un peu difficile mais bon, ça va, je fais mon petit bonhomme de chemin. Je fais mon trou, tout doucement... Une fois vos problèmes physiques réglés, comment s'est faite votre adaptation sur le terrain ? Sur le terrain, c'est compliqué. Le championnat italien est vraiment très dur. C'est vraiment différent du championnat français. Le plus gros problème que j'ai eu, c'est avec les marchés. Je me souviens qu'en équipe de France, dès qu'on avait un arbitre italien, Vincent Collet nous disait: "Attention, les Ritals (sic) ils sifflent tous les marchés !". Bon bah j'ai compris maintenant, c'est un truc de fou ! Il y a trente marchés sifflés par match, ils ne laissent rien passer. Au début, j'étais à trois marchés par rencontre, c'était très, très frustrant. Après, il y a d'autres petits trucs auxquels il faut s'adapter. Une fois que c'est fait, c'est bon... Lesquels par exemple ? L'ambiance dans les salles. Quand tu n'as pas l'habitude, t'es un peu surpris. Ils ont une vraie culture des tifosi ici, ça chante tout le match, ça s'insulte entre tifosi adverses. Ça chambre tout le temps. C'est spécial... Mais je commence à bien aimer. Tu te croirais dans un stade de foot, sans les dérives qu'on peut voir parfois. Et en terme de niveau de jeu, y'a-t-il une réelle différence avec ce que vous avez connu en championnat de France ? Oui, aussi. Mais pas vraiment au niveau des Italiens. C'est plus au niveau des joueurs étrangers. Les clubs italiens ont des étrangers beaucoup plus forts que les clubs français. Dans chaque équipe hein, même les promus. Par exemple, il y a une équipe comme Brindisi qui arrive à se payer Bobby Dixon, Yakhouba Diawara, Hervé Touré, Anthony Roberson. C'est du très haut niveau, ce qui fait que ce championnat est très dense. D'un point de vue personnel, êtes-vous satisfait de votre rendement (8,1 points, 3,9 rebonds de moyenne en Lega) ? Pas spécialement, mais on a quand même commencé la saison avec seize joueurs dans l'équipe et il y a eu beaucoup de turnover. On va dire que je survis. Ça n'a pas toujours été facile, je suis passé par des phases où j'étais vraiment dans le trou mentalement. J'ai un peu discuté avec Charles Smith, qui a une grosse expérience en Europe, et il m'a expliqué que sa première année en Italie, c'était chaud, chaud, chaud. Dans ces cas-là, il ne faut pas paniquer, rester concentré. A un moment, j'étais un peu catastrophé parce que je ne faisais rien du tout. Je ne m'en rendais pas compte mais en France, j'étais dans mon cocon, bien protégé. Ici, en tant qu'étranger, c'est plus difficile. Il n'y pas de pitié. "Je me mets Gladiator dans la tête quand je rentre sur le terrain" A quel niveau ? Avec le coach d'avant (Matteo Boniciolli, remplacé en janvier par Saso Filipovski, ndlr), j'avais le droit à deux "va fa enculo" par match ! Si jamais je dépassais le deuxième "va fa enculo", c'était mort. Je restais assis. A partir du moment où j'ai pigé ça, j'ai commencé à mieux jouer. Bon après, ils l'ont coupé. Juste au moment où il était venu me voir pour me dire que j'allais jouer trente minutes. Je me suis dit: "C'est pas possible, je suis maudit !" Depuis le début de saison, vous tournez à un peu moins de 20 minutes par match en étant rarement titulaire. Vous le vivez bien ? Je suis en concurrence avec un "Rital" d'ici (Andrea Crosariol, ndlr). Avec l'ancien coach, c'était bien parce que je jouais cinq et quatre. Avec le nouveau coach, je ne suis qu'en cinq donc on est obligé de se partager le temps de jeu. On va dire qu'il faut promouvoir les talents locaux... J'ai vraiment un statut particulier. En tant qu'étranger, tu n'as pas le droit à l'erreur. Et encore moi ça va, les tifosi m'aiment bien. J'ai même ma petite chanson, dès que j'enchaîne un ou deux papiers, ça y va. (Il chante en italien) Ça veut dire: "Traoré a sniffé de la coke." C'est énorme. Moi je leur fais un petit signe, ils aiment bien ça. En fait, j'ai pris à mon compte l'adage du film Gladiator: "Win the crowd and you'll win your freedom". Je me mets Gladiator dans la tête quand je rentre sur le terrain. Et en dehors du terrain, appréciez-vous de vivre à Rome ? Ah, c'est une ville extraordinaire ! S'il y a un truc qui ne m'a pas déçu, c'est ça. Là, je suis sur mon balcon et il fait à peu près 15°C. Le climat est clément, la ville est chargée d'histoire. Partout où tu vas, il y a des vestiges, des restos. Je n'ai pas eu le temps de trop visiter parce que je suis tombé sur des coaches un peu psychotiques qui ne nous laissent pas de repos. Quand je sors de l'entraînement, je suis cuit et je vais me coucher. Mais je vous le conseille, c'est un vrai dépaysement. Vous ne regrettez donc pas votre choix d'avoir signé là-bas l'été dernier ? Euh, ouais... Vous n'avez pas l'air convaincu... Disons que si les choses étaient à refaire, je les ferais un peu différemment. J'aurais peut-être choisi une autre destination parce qu'il y a d'autres aspects assez frustrants ici. Par exemple, structurellement, l'Asvel c'est plus haut que Rome, il n'y a rien à voir. Mais bon, il faut assumer ses choix et je suis sûr que la saison prochaine, je serai encore plus fort. J'ai un contrat de deux ans. On ne sait pas ce qu'il se passera à l'intersaison mais normalement, je serai encore là. "L'an dernier, j'étais vraiment en stress en Euroligue" Malgré tout, vous jouez l'Euroligue et même le Top 16 ? Oui, en Euroligue je n'ai pas des stats trop dégueulasses. La défaite contre Ljubljana (63-64), je ne l'ai toujours pas digérée. Celle-là, elle m'a gonflé. On menait de huit points à cinq minutes de la fin et dans ma tête de je me disais: "Allez, asseyons-nous sur le ballon." Parce que ces mecs-là ils sont trop forts pour revenir et te niquer au dernier moment, et c'est exactement ce qu'il s'est passé. Alors que contre le Maccabi (58-99), dans tous les compartiments du jeu, on ne pouvait rien faire du tout. Surtout à Tel-Aviv. Pendant ce match, j'ai fait des allers-retours entre les deux lignes de lancers francs, je ne savais pas ce qu'il se passait. C'était perte de balle, dunk, perte de balle dunk. Vous avez aussi croisé la route du "Baby Shaq", Sofoklis Schortsanitis... A cause de lui, j'ai eu un pourcentage de m... ce soir-là. A force de te battre avec lui, t'as même plus de forces dans les jambes pour finir les actions. Avec deux défaites en deux matches, pensez-vous que le qualification pour les quarts de finale est hors de portée ? Franchement ? Oui... Là on va à Barcelone (jeudi soir, ndlr), ensuite on reçoit Barcelone, on va à Ljubljana et on reçoit Tel-Aviv. Ça parait difficile. A quel genre de match vous attendez-vous à Barcelone, qui semble revenir à son meilleur niveau après une première phase poussive ? Je n'ai jamais eu aucun doute les concernant. Avec tous les blessés qu'ils ont eu, c'est normal qu'ils aient eu quelques couacs. Maintenant ils ont commencé à intégrer les nouveaux, ça reste une machine de guerre comme ça l'a toujours été. Je ne m'inquiétais pas du tout pour eux. Ce qui m'a énervé, c'est qu'ils ont terminé troisièmes de leur groupe et qu'on est obligé de se taper et Barcelone, et le Maccabi Tel-Aviv au Top 16 ! Ça c'est pas de chance... Vous aviez affronté le Barça la saison dernière. Quels souvenirs gardez-vous de ces deux matches ? Ah ça, je m'en souviens bien... C'est l'Euroligue, quoi. Contre le Barça, tu n'as aucun droit à l'erreur. Chaque erreur se paie cash, c'est très fatigant de jouer contre eux. En plus ils font un turnover de folie, toutes les trois minutes il y en a qui sortent et d'autres rentrent. Les mecs, ils sont toujours frais. Nous, on a 156.000 blessés donc au niveau turnover, ce n'est pas trop ça ! Mais bon là, c'est la première fois que je fais le Top 16. J'emmagasine beaucoup d'expérience. Comment ça se manifeste chez vous cette expérience en plus ? Je le ressens au niveau de la sérénité. L'an dernier, dès qu'il y avait un match d'Euroligue dans la semaine, je n'étais pas bien. J'étais vraiment en stress. Et puis, avec le temps, tu commences à être un peu plus connu sur le circuit, les arbitres commencent à te connaître, ils te laissent de la marge. Au niveau physique aussi, tu progresses parce que c'est un combat chaque semaine et à force, t'emmagasines forcément de la confiance. "Il faut que tout le monde ramène son cul en équipe de France" Quels objectifs vous fixez-vous d'ici la fin de saison ? Pour le Top 16, ça va être un peu compliqué... Le but, c'est de remonter dans le championnat italien pour faire les play-offs. Et, personnellement, j'aimerais continuer ma progression, faire quelques matches sympas. Je commence à bien m'adapter au nouveau coach. Après, être dans le cinq ou pas, ça ne m'a jamais dérangé tant que j'ai mon temps de jeu. On imagine que l'Euro 2011 avec l'équipe de France occupe aussi une place dans vos pensées, non ? C'est clairement un objectif. J'espère être dans l'équipe pour faire cet Euro, ça va être un gros tournoi pour le basket français. Tiens, je vais me faire un peu de pub. Moi je suis à Rome, je fais le Top 16. Donc si ça intéresse un certain coach qui s'appelle Vincent Collet, mon téléphone est juste là... Avez-vous eu des contacts avec lui récemment ? Je lui avais un peu parlé au téléphone après son éviction de Villeurbanne (mi-novembre, ndlr), ça fait un petit moment déjà. Entre-temps, non. Mais je pense qu'on se verra bientôt. J'ai suivi ce qu'il s'est passé à l'Asvel. D'ailleurs, je suis plus le championnat de France que le championnat italien. Je trouve que c'est un gros gâchis. C'est très dommage parce que le club avait de grosses ambitions mais les résultats n'ont pas suivi. Ce n'était sans doute pas la seule faute de Vincent. Mais comme on dit, les joueurs gagnent et les entraîneurs perdent. Il a servi de fusible. Je souhaite toujours le meilleur pour l'Asvel, j'espère qu'ils vont s'en sortir. Nordine (Ghrib) fait du boulot sympa. Quant à Vincent, il a une tout autre mission à accomplir. Et s'il cherche un garçon charmant et disponible... Vous lui promettez quoi ? S'il vient me voir, je lui promets de l'emmener dans l'un des plus beaux restaurants de la ville, tout près du Colisée, et de lui servir de guide touristique dans le centre-ville historique de Rome. Quel être votre avis sur le tirage au sort de l'Euro 2011, effectué dimanche ? J'ai vu qu'on avait les "Ritaux", et ça me fait plaisir... J'espère être dans l'équipe pour les jouer. Après notre groupe, je le trouve fort mais très faisable. Ce n'est pas un groupe de la mort comme le A. Le truc chiant, c'est qu'on croise avec ce groupe de folie. Dans tous les cas, même si on finit premier du groupe, on va tomber sur des gros au deuxième tour. Ça va être compliqué, mais on va se préparer pour. J'ai vu un peu le programme de préparation de Vincent. Après pratiquement deux mois, on sera réglé comme une machine de guerre. Et j'espère qu'on sera prêt à affronter n'importe qui. Il faut que tout le monde ramène son cul. Vous pensez que tous les joueurs NBA vont se libérer ? J'ai confiance, ils ont tous conscience de l'importance de cet Euro et ils viendront. Dans de très bonnes dispositions, je pense. La plupart des joueurs, moi par exemple, on a retenu les erreurs du dernier Championnat du monde. Avec du recul, ce Mondial m'a rendu plus fort. Ça m'a permis de me mettre face à mes erreurs et au Championnat d'Europe, si j'y vais, je serai affûté comme jamais. Entre un Ali Traoré affûté et un Ali Traoré en lutte permanente avec son corps, ce n'est pas la même chose. J'ai eu plein de pépins parce que, disons-le clairement, j'étais un peu gros.