Djokovic: "J'ai eu un déclic"

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Propos recueillis par Krystel ROCHE , modifié à
Vainqueur de la Coupe Davis fin 2010, Novak Djokovic a commencé l'année 2011 avec une victoire à l'Open d'Australie. Tombeur d'Andy Murray en finale, le Serbe vit "le rêve de tout joueur de tennis" mais voit encore plus loin. "Je sens que je peux réussir aussi à Roland-Garros et Wimbledon", affirme-t-il.

Vainqueur de la Coupe Davis fin 2010, Novak Djokovic a commencé l'année 2011 avec une victoire à l'Open d'Australie. Tombeur d'Andy Murray en finale, le Serbe vit "le rêve de tout joueur de tennis" mais voit encore plus loin. "Je sens que je peux réussir aussi à Roland-Garros et Wimbledon", affirme-t-il. Novak, pensez-vous que vous auriez pu jouer encore mieux que vous ne l'avez fait ? Avez-vous réalisé le match parfait ? C'était un grand match. Du premier au dernier point, j'ai fait ce que j'avais l'intention de faire tactiquement, ce dont nous avions parlé avec mon coach, ce pour quoi je m'étais préparé. Physiquement, j'étais hyper "fit". J'ai pu profiter de deux jours de repos entre ma demie et la finale, ce qui compte à ce stade du tournoi. J'étais conscient qu'il y aurait de longs rallies, que j'aurais face à moi un joueur qui ne loupe pas grand-chose, un joueur très talentueux qui fait partie des meilleurs relanceurs du circuit. Je devais vraiment entrer dans le court. C'était la clé. Lorsque l'occasion s'est présentée à moi de le faire, et de le faire pas mal voyager sur le court, c'est ce que j'ai fait. Le tournant du match a certainement eu lieu dans le dernier jeu du premier set, où nous avons eu toute une série d'échanges incroyables du fond de court, de longs rallies, et quelques beaux passings. Vous savez, quand on a un set d'avance, les choses sont tout de suite différentes... Vous sentiez-vous par moments comme indestructible ? Quoi qu'Andy Murray tente, vous aviez toujours une réponse à lui opposer... Je ne me vois pas comme tel. J'essaye juste de garder mes bonnes sensations. Aujourd'hui, j'ai senti que je pouvais jouer n'importe quelle balle, et que je pouvais vite faire la transition de la défense vers l'attaque. J'ai pas mal utilisé mon service aux moments les plus importants. Je me suis ouvert le court, ce qui me permettait d'avoir tout le reste du terrain pour attaquer. J'ai été patient lorsqu'il a fallu l'être. J'ai beaucoup changé de rythme, de cadence, car il aime jouer en cadence. Andy aime être celui qui contrôle le match. Je ne voulais pas le lui permettre. Gagner en trois sets face à un joueur comme lui en finale d'un Grand Chelem rend le succès encore plus beau. Après la balle de match, votre réaction est restée extrêmement sobre. Etait-ce une marque de respect pour Andy Murray, avec qui vous êtes ami ? D'un côté, oui. Ce n'était pas facile. Je comprends ce qu'il ressent. C'est sa troisième finale en Grand Chelem et il n'a pour l'instant jamais réussi à s'imposer. Pas évident. Je le répète: j'ai vraiment un énorme respect pour lui et pour son jeu. A mon sens, il a tout ce qu'il faut pour remporter un Grand Chelem. Je suis sûr que cela arrivera très bientôt. Sur les deux premiers sets, Andy Murray n'a marqué que six points sur votre service. Comment l'expliquer ? Serviez-vous incroyablement bien ou a-t-il, lui, moyennement retourné ? Je ne pense pas avoir incroyablement bien servi. Pour ma part, j'essayais juste de bien placer mes services. Pour moi, il était important de bien démarrer les points, d'être celui qui agressait. C'est ce que j'ai fait. C'était une sorte de tactique pour m'ouvrir le court un peu plus, le faire un peu voyager sur le court, puis monter au filet. Votre premier et dernier titre en Grand Chelem remontait à l'Open d'Australie en 2008. Maintenant que vous êtes plus âgé, donc plus expérimenté, cela vous prendra-t-il moins de temps avant de reconquérir un autre titre Majeur ? En effet, je me sens plus expérimenté, et je pense être un meilleur joueur qu'en 2008. Je suis plus solide physiquement, plus rapide. Plus motivé. Je sais comment réagir à tel ou tel moment du match, et comment me comporter devant un central comble, sur de grands courts. Je ne pouvais rien demander de mieux pour lancer la saison. Surtout après avoir éliminé Roger Federer et Andy Murray... Comme je l'ai dit, ces deux joueurs jouent leur meilleur tennis sur dur, comme moi. Mais être capable de battre ces deux joueurs en trois sets, c'est juste incroyable. "Tout le monde m'a critiqué" Comment avez-vous retrouvé votre service ? En frappant des milliers de balles à l'entraînement. Tout est une question de travail et de patience, j'imagine. J'ai travaillé dur, et cela a fini par payer. Il n'y a pas de secret. Bien sûr, je savais ce que je ne faisais pas bien. Mais même si tu en as conscience, il est difficile de changer tes habitudes. Tout le monde m'a critiqué. Alors pourquoi ai-je modifié mon service ? Je ne l'ai pas fait volontairement. C'est juste venu, comme ça. J'ai travaillé dur ces dix derniers mois, et c'est revenu. Vous avez été sorti sèchement ici même l'an passé, à Roland-Garros également, ainsi qu'à Wimbledon. Que s'est-il passé entre Wimbledon et les matches sur dur où vous avez semblé avoir regagné confiance ? Un verrou a sauté dans ma tête, j'ai eu un déclic. Il faut savoir que je suis quelqu'un de très émotif, sur et en dehors du court. Enfin je montre mes émotions, je suis comme ça. En dehors du court, les choses n'allaient pas forcément très bien pour moi. Cela s'est ressenti dans mon jeu. Mais j'ai pris conscience de certaines choses, et j'ai dû chercher la meilleure solution possible pour revenir dans le bon chemin. Qu'est-ce qui vous a justement permis de revenir sur la bonne voie ? Ça a été une grosse bagarre au niveau psychologique, car j'ai essayé de séparer ma vie pro de ma vie perso. Mais nous sommes tous des êtres humains, et ce n'est donc pas possible: si quelque chose cloche, même hors du terrain, ça t'affecte forcément sur le court. Mais j'ai réussi à résoudre ce problème. Tout le monde rencontre des difficultés auxquelles il doit faire face. Surmonter la crise, relever la tête et revenir à mon meilleur niveau a été un grand succès pour moi en tant que personne. A un moment donné, vous faisiez appel à deux coaches différents ? Oui. N'entendiez-vous pas deux discours différents ? Si. Ça n'a pas fonctionné. J'ai essayé, mais avec tout le respect que je lui dois, Todd Martin a beau avoir été un grand joueur et être un excellent coach, cela n'a tout simplement pas fonctionné. Il n'est pas facile de voyager avec deux coaches. J'ai essayé pourtant. A vrai dire, j'ai essayé plusieurs choses. Si tu n'essayes pas, tu ne peux pas savoir. Maintenant, je sais que ça ne marche pas. Marian Vajda fera toujours partie de mon équipe. Il est pour moi bien plus qu'un simple coach. Mon kiné, Piljan Amanovic, mon préparateur physique, tous ces mecs ont mis toutes leurs forces pour que je me développe en tant que joueur, que je progresse sur le court, mais aussi en dehors. Je leur dois beaucoup, vraiment. Ils méritent une belle reconnaissance. D'après vous, Andy Murray devrait très rapidement glaner son premier titre en Grand Chelem. Qu'est-ce qui vous permet de l'affirmer ? J'ai dit qu'il était un joueur très talentueux, et un gros bosseur. Il a déjà atteint la finale trois fois, il lui manque juste une dernière étape à franchir. Bien sûr, ce n'est pas la plus facile. Vous avez pu voir à quel point il était frustré ce soir: il sentait qu'il avait ses chances de remporter son premier trophée en Grand Chelem. Mais c'est un processus d'apprentissage. Pour moi non plus, ça n'a pas été facile. C'est pour ça que je sais ce qu'il ressent à l'heure actuelle. Il est encore jeune, je suis sûr qu'il aura de plus en plus de chances de s'imposer... "C'est le meilleur début de saison qui soit" Quelle différence y a-t-il entre votre victoire en trois sets sur Roger Federer et cette victoire en trois sets sur Andy Murray ? Quand avez-vous été le plus inquiet ? Vous êtes toujours inquiet en demie ou en finale d'un Grand Chelem. Vous avez vos propres soucis, plus un peu de pression, d'attentes de la part des autres que vous ressentez pendant le match. Mais tu travailles dur pour être paré mentalement à ces moments-là, et pour être suffisamment "fit" pour pouvoir tenir cinq sets. Ces deux matches étaient différents, car j'ai affronté deux joueurs aux styles différents. Je prends toujours match par match. Je n'essaye pas de voir qui je vais peut-être jouer dans les tours suivants, même si, en tant que top player, on m'attend en fin de tournoi. J'ai toujours fonctionné comme ça. Avec Andy Murray, vous vous connaissez très bien. Quelle est votre stratégie lorsque vous vous retrouvez en face de lui ? Tout d'abord, il faut voir que nous ne nous étions plus joués depuis longtemps, car nous étions n°3 et n°4 mondiaux. La plupart du temps, nous étions dans des parties de tableau différentes. C'est d'ailleurs bizarre que l'on ne se soit plus joué depuis si longtemps, car la plupart du temps, nous atteignions les derniers tours des tournois. Mais vous savez, Roger (Federer) et Rafa (Nadal) ont tellement dominé le tennis masculin ces dernières années. Lors de nos trois dernières confrontations, sur dur, c'est lui qui s'est imposé. Mais depuis, nous avons tous les deux beaucoup progressé. Bien sûr, j'ai analysé son jeu. J'ai essayé d'appliquer sur le court la tactique que nous avions mise au point avec mon coach, et j'y suis bien arrivé. Je savais pertinemment qu'il ramènerait tout et qu'il y aurait de longs rallies: il fallait que je sois patient. S'il faisait une balle un peu moins longue, il fallait vraiment que j'avance et que j'attaque. Quelle différence cela fait-il de compter deux titres majeurs à son palmarès ? Tout se joue-t-il sur le mental ? C'est vrai qu'il est question de mental, quand tu te retrouves dans une situation comme ça, quand tu es si près de gagner un titre. Evidemment, chaque fois que tu te retrouves à ce stade de la compétition, tu veux gagner plus que tout au monde. Mais parfois, les choses ne se passent pas comme tu le souhaites. Tu cogites trop. Il y a une grosse bataille psychologique, c'est évident. Tout le monde est devenu est très fort à ce jeu-là. Je trouve que le tennis a incroyablement progressé ces dernières années. Si l'on compare les saisons 2007, 2008 avec la saison 2010, j'ai la sensation que la balle va beaucoup plus vite, que les mecs cognent très fort, qu'il y a de gros serveurs. Pour tenir le choc, tu te dois d'être hyper pro, et très constant. Vous avez réussi à élever votre tennis à son meilleur niveau face aux meilleurs mondiaux... C'est le meilleur début de saison qui soit. L'intersaison a été très courte, mais j'ai retrouvé de la confiance avant l'Australie, et le titre en Coupe Davis y a contribué. Tout au long de ce tournoi, je me suis senti hyper bien sur le court. La finale de Coupe Davis a dû jouer un grand rôle là-dedans. Après ce titre, j'avais encore plus faim de compétition. "Rafa et Roger restent les deux meilleurs au monde" Certains observateurs déclarent que les défaites prématurées de Roger Federer et Rafael Nadal sont en quelque sorte le signe d'un passage de témoin. Qu'en pensez-vous ? Rafa et Roger restent les deux meilleurs joueurs au monde. La question ne se pose même pas. Vous ne pouvez pas comparer mon palmarès, ou celui d'Andy, avec les leurs. Ce sont les deux joueurs qui ont archi-dominé le jeu depuis des années. Après, je trouve que c'est une bonne chose de voir d'autres joueurs se hisser en finale de Grands Chelems et se battre pour le titre. C'est tout ce que je peux dire là-dessus. Vous aviez un jeu de jambes assez phénoménal. Après la balle de match, vous avez lancé vos chaussures dans le public... Non sans en avoir ôté les semelles. Portez-vous des semelles spéciales ? Oui. C'est le secret de mon jeu de jambes, vous l'avez trouvé (sourire)... Êtes-vous plus concentré que jamais sur votre jeu ? Oui. Je suis plus concentré et dévoué à mon sport que je ne l'ai jamais été jusque-là. Après la Coupe Davis, l'Open d'Australie... Etes-vous en train de vivre la plus belle période de votre vie ? Sur un court de tennis, oui. La Coupe Davis, un nouveau titre du Grand Chelem... De toute évidence, je suis en train de vivre le rêve de tout joueur de tennis. Hormis Rafael Nadal et Roger Federer, seuls deux joueurs ont remporté deux tournois du Grand Chelem: vous et Lleyton Hewitt. Comment voyez-vous l'avenir ? Je ne veux pas m'arrêter là. Je dois me maintenir en bonne santé, rester "fit", prêt à relever tous les challenges qui se présenteront à moi. Mon jeu s'adapte bien à toutes les surfaces, je l'ai déjà prouvé dans le passé. J'ai à mon actif deux finales à l'US Open et deux finales ici: les résultats montrent bien que le dur est ma surface de prédilection. Mais je sens que je peux réussir aussi à Roland-Garros et Wimbledon. Ces dernières saisons, vous aviez tellement joué que vous en étiez arrivé à vous épuiser. Comment éviter de répéter le même scénario ? Je pense qu'avec le temps, tu gères les choses plus intelligemment. Tu sais ce qui est bon pour toi ou pas. Avant, je dépensais trop d'énergie sur des choses qui n'en valaient pas la peine. Mais tu apprends. C'est la raison pour laquelle je m'entoure de mon équipe, qui organise mon temps afin que je puisse tout donner sur le court et ne pas m'encombrer du reste.