Une grève et "un paquet de mains" pour souligner le malaise des infirmier(e)s

© MYCHELE DANIAU / AFP
  • Copié
, modifié à
Sur les réseaux sociaux et dans la rue, la colère des infirmier(e)s ne désemplit pas.

Elles partagent la photo de leur principal outil de travail, leur main, pour dénoncer la dégradation de leur métier. Le 20 octobre dernier, Stéphanie Gorge, infirmière de 42 ans dans un hôpital parisien, lançait le mouvement en publiant sur Facebook une photo de sa main gauche. "Madame la ministre de la Santé, ceci est ma main gauche. Ongles courts, pas de verni, pas de bijoux. Cette main depuis 1995 a vue l'état de notre système de santé s'effondrer. Comme tant de collègues", écrivait-elle dans un post repéré ce week-end par le Huffington Post. Depuis octobre, le message sur Facebook a été "liké" 40.000 fois, et partagé à 34.000 reprises. Des dizaines d’infirmières ont ajouté la photo de leur main et continuent de le faire aujourd’hui, dans les commentaires, en guise de solidarité.

"En sous-effectif. Payée avec un lance pierre". "Cette main a commencé par faire des changes de patient, les mettre au fauteuil, et fermer des yeux, supporter tout. Travailler malgré le manque de moyens. Payée avec un lance pierre (sic)", raconte l'infirmière, qui retrace l'histoire de cette main laborieuse, esseulée mais jamais rechignée. "Comme tant de collègues. Cette main a participé à plus d'un millier de réanimations et fermer des yeux, de toilettes post mortem, de bilans pré greffe ou pré prélèvements d'organe, et post greffe, de dialyses, de pansements, de bilans pré opératoire, de déchocages. En sous-effectif. Payée avec un lance pierre. Comme tant de collègues", assène la quadragénaire, qui a un message à faire passer à la ministre : "Madame le ministre, vous êtes tellement loin de la vraie vie des soignants et des soignés que je ne vous souhaite qu'une chose : retrouver la raison et ne pas nous croiser. […] Madame, les personnels de santé ne sont pas, quel que soit leur statut, des volontaires".

Le succès d’audience de ce message illustre le malaise qui continue de frapper les infirmier(e)s. Les organisations professionnelles ont d’ailleurs appelé à un nouveau mouvement de grève mardi, le deuxième au niveau national depuis novembre. "Étranglement budgétaire", manque de personnel, augmentation de l'activité, cadences infernales, changements perpétuels de missions, multiplication des tâches administratives… Les griefs sont nombreux et partagés par tous les principaux syndicats du secteur.

Dans la rue, sur les réseaux sociaux. "Il y a une montée en puissance du mécontentement qui traverse tous les types d'établissements et toutes les catégories de professionnels", déplorait, en novembre, Mireille Stivala, de la CGT. "On voit une recrudescence des tentatives de suicide, de burn-out" dans les établissements, renchérissait Denis Basset (FO). "L'absentéisme monte parce qu'on a épuisé les équipes, on rappelle les personnels sur leur temps de repos, les départs en retraite ne sont pas remplacés", poursuit quant à elle la présidente de la Coordination nationale infirmière (CNI) Nathalie Depoire.

Cet été, les suicides de plusieurs soignants, dont au moins cinq infirmiers, avaient déjà mis en lumière une souffrance jugée grandissante dans le métier (lire notre article ici). Depuis la grève de novembre, plusieurs mouvements de grèves ont essaimé localement. Aussi, de centaines d’infirmières crient régulièrement leur malaise sur les réseaux sociaux. La vidéo d’une interne parisienne dénonçant le manque de moyens à l’hôpital postée le 11 janvier dernier a été vue plus de 11 millions de fois. En septembre, celle d’une infirmière toulousaine avait réuni plus de 400.000 internautes. "Quand je suis allée en stage, j'ai bien vu que les infirmières tiraient toutes la gueule, qu'elles étaient toutes en dépression, qu'elles roulaient toutes en Clio. J'aurais dû avoir un doute !", raillait la jeune femme.

Marisol Touraine a un plan… En réaction, la ministre de la Santé Marisol Touraine a annoncé en décembre un plan d’action pour améliorer les conditions de travail du personnel hospitalier, doté d’une enveloppe de 30 millions d’euros. Au programme : le déploiement d’ici trois ans de services de santé au travail (intégrant notamment des psychologues, des conseillers en prévention des risques professionnels et des assistants sociaux) dans chaque Groupement hospitalier de territoire (GHT) ou encore la diffusion d’un "guide des risques psychosociaux" pour mieux orienter le suivi médical des personnels hospitaliers.

La ministre a également annoncé la création prochaine d’un observatoire national de la qualité de vie au travail et des risques psychosociaux, d’un médiateur national et d’une charte de l’accompagnement des professionnels lors de restructurations. Une concertation doit aussi s’ouvrir bientôt avec les organisations syndicales pour "adapter le régime indemnitaire et mieux valoriser" les astreintes.

… qui ne convainc pas. "Insuffisant"¸ selon 14 organisations d’infirmières hospitalières et libérales, qui ont appelé à la grève mardi. Insuffisant également, selon Stéphanie Gorge, l’infirmière qui a partagé sa "main" sur Facebook. "Je ne sais pas comment on a pu en arriver à dénigrer autant notre travail. [… ] Je suis payée 600 euros de moins qu'un agent de la fonction hospitalière du même niveau, comme tous les infirmiers de ce niveau", dénonce-t-elle aujourd’hui, contactée par le Huff Po. Et de conclure : "Je me dis que ce paquet de mains va peut-être faire réagir".