Trois questions sur la création d'un parquet national antiterroriste

Début novembre 2017, la section antiterroriste du parquet de Paris était saisie de 457 dossiers (photo d'illustration).
Début novembre 2017, la section antiterroriste du parquet de Paris était saisie de 457 dossiers (photo d'illustration). © Ludovic MARIN / AFP
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M.L avec agences
La ministre de la Justice a annoncé lundi la création d'un "PNAT", présenté comme une "véritable force de frappe judiciaire". Les dossiers terroristes relevaient jusqu'alors du parquet de Paris.

 

Les observateurs du monde judiciaire devront bientôt s'habituer à un nouvel acronyme : le PNAT, parquet national antiterroriste. Début 2017, la mesure avait été évoquée au cours de la campagne présidentielle, chez des responsables de droite mais aussi des conseillers d'Emmanuel Macron. En septembre, elle faisait partie du "contre-projet" à la loi antiterroriste présenté par les députés LR. Trois mois plus tard, c'est la ministre de la Justice, Nicole Belloubet, qui a officiellement annoncé sa prochaine entrée en vigueur, sans donner sa date d'installation ni le nom du magistrat qui en prendra la tête. Europe1.fr fait le point sur cette nouvelle structure.

  • Pourquoi créer un parquet dédié ?

Face à l'inflation des dossiers liés à l'islamisme radical, l'objectif du gouvernement est de "disposer d'une véritable force de frappe judiciaire antiterroriste", a déclaré la garde des Sceaux lundi, devant des procureurs réunis à l'École nationale de la magistrature (ENM). "Le développement exponentiel de ce contentieux et sa sensibilité majeure liée la commission d'actes terroristes directement sur notre territoire depuis 2012 posent (...) la question de la surconcentration parisienne", a encore jugé la ministre. Les dossiers antiterroristes dépendent en effet, sans différenciation des autres affaires, du parquet de Paris.

Alors que la France vient de sortir de l'état d'urgence, la ministre a estimé que la lutte contre le terrorisme demeurait "le principal défi de la justice", la menace devant "vraisemblablement perdurer à un niveau élevé au cours des prochaines années". À cet égard, la prison "apparaît comme un incubateur très préoccupant", a relevé Nicole Belloubet, notant un "nombre très important de détenus pour terrorisme et de radicalisés de droit commun". 509 personnes sont actuellement emprisonnées pour des faits de terrorisme. Le nombre de prisonniers radicalisés est environ deux fois plus élevé.

  • Qu'est ce que ça change ?

Ce nouveau parquet national sera le deuxième spécialisé, sur le modèle du parquet national financier (PNF), créé à en 2013 après le scandale des comptes cachés de l'ex-ministre du Budget Jérôme Cahuzac. "Il ne s'agit nullement de créer une juridiction d'exception mais (...) de renforcer l'action publique en matière terroriste", a indiqué Nicole Belloubet. "Avec la création d'un PNAT, le parquet de Paris se verra dégagé de ce contentieux lourd et spécifique. Le PNAT aurait toute la disponibilité pour recentrer son activité sur cette mission essentielle", a-t-elle précisé.

Concrètement, ce parquet succéderait donc à la section antiterroriste du parquet de Paris, dite C1, créée en 1986 et qui a vu son nombre de dossiers doubler chaque année depuis 2012 en raison de la menace djihadiste, jusqu'à atteindre 457 début novembre 2017. Elle dispose aujourd'hui de quatorze magistrats spécialisés permanents, soit environ 10% environ des effectifs du parquet de Paris. On ne sait pas encore combien de magistrats composeront le PNAT qui la remplacera. La définition précise des contours de cette nouvelle structure a été confiée par la ministre à Rémy Heitz, directeur des affaires criminelles et des grâces.

  • La mesure est-elle consensuelle ?

Pas vraiment. Côté politique, Jean-François Copé et Georges Fenech, mais aussi l'ancien garde des Sceaux François Bayrou  et Michel Debacq, ancien magistrat classé à gauche, se sont déjà prononcés en faveur de la création d'un PNAT, invoquant notamment la possibilité pour les magistrats de mieux se spécialiser, ainsi qu'une augmentation des moyens.

En revanche, dès janvier 2016, le procureur de Paris François Molins s'était dit opposé à la création d'un tel parquet, "beaucoup moins bon, parce que la spécialisation on l'a déjà." "Le fait que la section antiterroriste soit nichée au sein du parquet de Paris vous donne une force, une mutualisation extraordinaires, parce que ça nous permet de faire face à ce que vous me permettrez de qualifier de ‘coup de chauffe’ ou de ‘coup de bourre’ quand vous avez un attentat terroriste”, avait-il justifié sur France Inter. "Si un parquet antiterroriste indépendant voit le jour, il n'y aura pas cette souplesse-là en termes de renfort dans l'heure", a renchéri la présidente de l'Union syndicale des magistrats, Virginie Duval, interrogée par Franceinfo.

Mais la concrétisation du projet pourrait le rendre plus consensuel : dès lundi, François Molins a estimé qu'on ne pouvait pas "par principe dire qu'il ne faut rien changer". "Notre organisation a trente ans", a-t-il expliqué. "Je redis que si c'est pour transposer la section et en faire un parquet, cela ne sert à rien. Tout est une question de moyen et de formation", a-t-il confié en marge de la réunion. Lundi, Nicole Belloubet a salué le "travail remarquable" du procureur, en première ligne lors des attentats. Son mandat à la tête du parquet de Paris arrive à échéance en novembre 2018.