Jean-François Amadieu, sociologue et directeur de l'Observatoire des Discriminations 1:23
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Mathilde Durand , modifié à
Alors que le ministre de la Ville Julien Denormandie annonce une nouvelle campagne de "testings" dans les entreprises pour déceler des discriminations, Jean-François Amadieu, sociologue et directeur de l'Observatoire des Discriminations, estime sur Europe 1 que la pratique du "name and shame" est insuffisante.
INTERVIEW

Alors que les manifestations antiracistes animent l'actualité ces dernières semaines, le ministre de la Ville Julien Denormandie annonce dimanche dans Le Parisien de nouveaux "testings" dans les entreprises afin de déceler des discriminations. Cette méthode consiste à envoyer deux CV identiques à une entreprise, en modifiant uniquement le nom, prénom, à consonance étrangère, ou l'adresse, dans un quartier populaire, pour déterminer si l'entreprise discrimine les candidats à l'embauche. L'objectif de ces testings : le name and shame. Nommer les entreprises publiquement, pour accélérer la mutation au sein de ces dernières. Une pratique insuffisante pour Jean-François Amadieu, sociologue et directeur de l'Observatoire des Discriminations, invité d'Europe 1 dimanche soir. 

Peu d'effet pour les entreprises

"Jusqu'à présent, on pensait que le name and shame allait convaincre certaines entreprises de cesser de discriminer. Or, malheureusement, on a constaté qu’en 2020, une grande entreprise qui avait déjà été testée deux autres fois, (…) Accor, a été nommément désignée par le Défenseur des droits, le gouvernement et la Halde (Haute Autorité de lutte contre les discriminations et pour l'égalité). Et cela n’a jamais eu apparemment beaucoup d’effet", explique-t-il. 

"Une fois l’annonce passée, les choses repartent comme avant. Il ne s’agit pas d'accabler le groupe Accor, c’est une caractéristique souvent du secteur, l’hôtellerie-restauration. Dans ce secteur, les discriminations liées aux origines sont plus importantes", souligne le sociologue. "On se dit que, peut-être, le name and shame n’est pas suffisant."

Une méthodologie controversée, des effets d'annonce

Jean-François Amadieu rappelle que ces testings, loin d'être inédits, ont déjà été amorcés il y a trois ans. Une campagne qui s'étale sur 120 entreprises, à raison de 40 par an. Sept sociétés, telles qu'Air France ou Renault, avaient déjà été épinglées pour présomption de discrimination à l'embauche. Les annonces du ministre de la Ville pourraient avoir, au contraire, un effet pervers sur les discriminations face à l'emploi : "Beaucoup de grandes entreprises se préparent à ces tests, elles le savent, s’en prémunissent et pendant le même temps elles délaissent d’autres discriminations. On peut penser à celles qui concernent les seniors en emploi, qui sont en difficulté et le seront encore pus dans les mois qui viennent", prévient le sociologue. 

Lors des précédentes campagne de testings, plusieurs entreprises avaient dénoncé une méthodologie douteuse et protesté contre les accusations de discrimination dont elles faisaient l'objet, comme Air France. En effet, des CV avaient été envoyés en candidature spontanée ou encore assortis de messages sollicitant simplement des renseignements. Ainsi, l'équipe de recrutement n'avait pas eu l'occasion de consulter les différentes candidatures. "Il faudra, la prochaine fois, que ce soit fait dans de bonnes conditions, cela n’avait pas été tout à fait le cas les dernières fois", explique Jean-François Amadieu. "Dans la méthode, là où il faut être vigilant, c’est surtout d’être sûr que vous avez envoyé vos CV en réponse à des offres d’emploi qui étaient publiées par une entreprise." 

Pour l'accès au logement, les formations inutiles

L'accès au logement est également source de nombreuses discriminations, régulièrement pointées par des enquêtes de l'association SOS Racisme. Pour y remédier, Julien Denormandie a également annoncé un décret obligeant "toutes les agences immobilières et les associations professionnelles à suivre une formation de lutte contre les discriminations" tous les trois ans. "Il faut des tests surprises" plutôt que des formations, rétorque Jean-François Armadieu.

"(Les formations) existent déjà dans le domaine de l’emploi. Toute personne qui fait du recrutement est censée avoir suivi des formations", rappelle le sociologue. "Ce que nous savons de façon certaine, et il y a des études internationales à ce sujet, c’est que ce n’est pas la peine de former les gens, ils connaissent le droit et quand ils choisissent de discriminer, ils le font en connaissance de cause. Donc les formations ne changeront pas grand-chose."