Tareq Oubrou : les djihadistes veulent "un raccourci pour le paradis"

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Aurélie Dupuy , modifié à
Tareq Oubrou, imam de Bordeaux, était l'invité d'Anne Sinclair, samedi sur Europe 1. En raison de ses prises de positions libérales, il est dans le viseur de Daech.
INTERVIEW

Pour ses prises de position libérales sur l’islam, Tareq Oubrou, écrivain* et imam, recteur de la mosquée de Bordeaux, est actuellement sous le joug d’une fatwa de Daech, qui le condamne à mort. Dans son dernier numéro, le magazine de propagande francophone de l'Etat islamique, Dar al-Islam, enfonce le clou en publiant son adresse et sa photo. L'imam était l’invité d’Anne Sinclair, samedi sur Europe 1, pour évoquer sa vision de l’islam.

"Les gens prélèvent des fragments du texte". "Le Coran et les paroles du Prophète délivrent un ensemble d’informations datées et situées, parce qu’il y a une dimension historique des textes. Pour traiter ces informations, vous avez besoin d’une doctrine pour interpréter et donner corps à l’information parce que dans le Coran et la tradition, on peut trouver une chose et son contraire. Tout simplement parce que le Coran et la tradition du Prophète ont été révélés parfois dans des situations contradictoires."

Selon l’imam, il existe aujourd’hui un problème d’interprétation, ou plus exactement de manque d’interprétation. "Les gens prélèvent des fragments du texte sans doctrine. L’interprétation suppose déjà un a priori doctrinal. Il y a des imams qui ne sont pas des docteurs de la loi, qui ne sont pas des théologiens. On ne peut pas être un docteur de la loi si on ne maîtrise pas deux formes de savoirs : le savoir classique, religieux, et le savoir moderne."

"Le djihad ? d'abord un effort intellectuel pour comprendre". Dans cette optique, le djihad tel que le voit Daech est selon lui détourné de son vrai sens. Tareq Oubrou le définit. "Le djihad est d’abord un effort intellectuel pour comprendre, jusqu’à l’épuisement. Avant d’agir, il faut comprendre. C’est combattre l’ennemi intérieur." S'y ajoute le djihad défensif, qui "s’inscrit sous l’autorité de l’Etat." Pour lui, l’Etat islamique n’existe pas. "C’est la première fois dans l’Histoire de l’islam qu’un homme, un calife fait la communauté, fait l’Etat. On est ni dans l’Etat moderne, ni dans le califat classique médiéval."

"Daech profite de la naïveté". Comment expliquer alors cet attrait des jeunes vers la violence ? "Il y a ceux qui sont fascinés par les armes, ceux qui veulent en découdre parce que la vie devient de plus en plus difficile. Ils veulent un raccourci pour le paradis parce qu’on leur promet le martyr. Payer des mercenaires aujourd’hui coûte très cher, donc la foi peut être instrumentalisée pour des raisons qui n’ont rien à voir avec la notion du martyr." Daech profite ainsi "de la naïveté de beaucoup de musulmans, qui sont en quête de spiritualité, de causes".

*Tareq Oubrou vient de sortir le livre Ce que vous ne savez pas sur l’Islam (Paris, Fayard, 2016).