Soupçonnée de maltraitance, une communauté ultra-orthodoxe dans le viseur des autorités

Près de Paris, les responsables d'une école talmudique ont été arrêtés en raison de soupçons de maltraitance.
Près de Paris, les responsables d'une école talmudique ont été arrêtés en raison de soupçons de maltraitance. © Maryam EL HAMOUCHI / AFP
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avec AFP
Une quarantaine d'élèves de l'école talmudique de Bussières, en Seine-et-Marne, sont désormais pris en charge par l'aide sociale à l'enfance après l'arrestation des responsables de cet établissement ultra-orthodoxe flirtant avec la dérive sectaire et soupçonnés de maltraitance depuis "des années", selon plusieurs sources.

Retranchée dans un vaste domaine seine-et-marnais, une communauté juive ultra-orthodoxe, dont 16 membres ont été placés en garde à vue, est soupçonnée de dérive sectaire par les autorités, accusée de faire vivre la soixantaine d'élèves de l'école talmudique des conditions indignes. Situé à Bussières, un village de 500 âmes à 60 kilomètres à l'est de Paris, la yeshiva Beth Yossef, accueillait 40 adolescents de plus de 12 ans ainsi que 22 jeunes majeurs, principalement de nationalité israélienne et américaine. Elle est aujourd'hui accusée de dérive sectaire et 16 responsables ont été placés en garde à vue lundi.

La présence de la communauté était connue dans le village

Au sein de l'enceinte délimitée par des murs, se trouvent plusieurs bâtisses en pierre de trois à quatre étages, certaines dans un état de délabrement avancé. L'école talmudique s'est installée il y a plusieurs décennies dans le vaste domaine de Séricourt, un ancien sanatorium, ainsi que plusieurs familles juives orthodoxes. Plusieurs habitants, entrant ou sortant du domaine en voiture, ont refusé de répondre aux questions de l'AFP.

Dans le village, la présence de cette communauté, en retrait du reste des habitations, était connue mais ne posait aucun problème. "Avant, ils venaient souvent pique-niquer près de la mairie, ils étaient normaux, les enfants aussi. Ils essayaient de communiquer avec nous mais les enfants ne parlaient pas français", témoigne Jordane, installée depuis 4 ans à Bussières. Lors de ses promenades avec ses chiens à la lisière du domaine, elle voyait parfois les jeunes garçons, en bonne forme selon elle, couper les haies.

Une enquête ouverte pour séquestration en bande organisée

"Ce sont des gens très discrets", décrit-elle. "On n'avait aucun souci avec eux, ils sont très tranquilles". Pourtant, 16 responsables de l'école talmudiques ont été interpellés lundi par la section de recherches de la gendarmerie de Paris et placés en garde à vue dans le cadre d'une enquête ouverte pour séquestration en bande organisée, violences aggravées, privation de soins et d'aliments, abus de faiblesse aggravé.

Dans un communiqué, la procureure de Meaux, Laureline Peyrefitte, a décrit un accueil des élèves "dans des conditions abusives": "enfermement, confiscation des documents d'identité, conditions de vie dégradées, actes de maltraitance, absence d'accès à l'éducation et aux soins, et sans possibilité de revenir dans leurs familles".

Des conditions d'hébergement indignes pour les élèves

D'après une source proche de l'enquête, les élèves vivaient dans des conditions d'hébergement indignes et l'encadrement mettait en place une méthode éducative pouvant s'apparenter à de la maltraitance. "La direction de l'association conteste toute forme de violence au sein de son établissement, qui n'est ni une secte ni un centre de redressement mais un lieu d'enseignement religieux pour adolescents en difficulté", ont réagi dans un communiqué transmis à l'AFP Mes Philippe Ohayon et Dan Mimran, conseils du directeur de l'établissement.

Les mineurs, sans "autorité parentale sur le territoire français", ont été pris en charge par l'Aide sociale à l'enfance (ASE) pour un accueil provisoire en urgence, a indiqué le département dans un communiqué mardi. Lors de l'opération de gendarmerie, les enfants n'avaient pas l'air traumatisés, a souligné la source proche de l'enquête. En juillet, un élève américain avait fugué de la yeshiva et trouvé refuge à l'ambassade américaine à Paris. De novembre à décembre, d'autres adolescents se sont échappés.

La pratique de "châtiments" dénoncée

Avi Ran, âgé aujourd'hui de 33 ans et pensionnaire pendant 12 ans de l'établissement, a décrit à l'AFP un "lavage de cerveau". Au début, c'était bien, on avait l'impression d'y être pris en main, même si les méthodes paraissaient très dures", raconte-t-il, mais l'"endroit est complètement délabré", sans eau chaude. Il décrit également des "châtiments": "Ils jettent l'opprobre sur l'un ou l'autre publiquement en disant qu'il 'sort du chemin' et les autres ne peuvent plus lui parler" et "il y a des coups physiques", se souvient le jeune Israélien.

"Rapidement on comprend qu'on est en prison, qu'on a plus de passeports, qu'on ne peut pas sortir du lieu (...) on pouvait passer des mois, même des années sans passer la porte de l'école, sauf pour rentrer en Israël exceptionnellement". "On ne peut pas accepter la mise en danger de la vie des enfants, les chefs d'accusation sont terribles, on verra comment l'enquête avance, les conditions dans lesquelles ils vivaient sont inadmissibles. Point", a déclaré à l'AFP le grand rabbin de France Haïm Korsia, qui dit être en contact avec eux.

Pas de téléphone portable, pas d'internet, étude du soir au matin et peu de contacts avec la société : la yeshiva appartient à l'une des mouvances les plus rigoristes, dite "lituanienne", très présente en Israël et aux Etats-Unis, mais peu en France. Selon le site internet de l'école, l'institution Ohr Yossef, dont dépend la yeshiva, a été fondée en 1948 par le rabbin orthodoxe Gershon Liebman et "regroupe plus d'une centaine d'étudiants, venant du monde entier".