Règles douloureuses : en quoi consiste le "congé menstruel" que l'Italie envisage d'instaurer ?

Les douleurs menstruelles ne sont pas rares chez les femmes. (Illustration)
Les douleurs menstruelles ne sont pas rares chez les femmes. (Illustration) © Capture Youtube
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Clémence Olivier , modifié à
Quatre députées italiennes souhaitent donner la possibilité aux femmes ayant des règles douloureuses de bénéficier de trois jours de congés par mois.

L'Italie se penche actuellement sur une proposition de loi présentée par quatre députées démocrates le 13 mars dernier. Elle prévoit la création d'un congé menstruel pour les femmes ayant des règles douloureuses. Si la loi est adoptée, les femmes pourront être arrêtées jusqu'à trois jours par mois tout en continuant à percevoir leur salaire. 

Car la dysménorrhée, les douleurs menstruelles, n'est pas un phénomène rare. Selon une étude menée par des chercheurs de Birmingham, une femme sur cinq en souffrirait. Ces douleurs se traduisent par des maux de ventre, des maux de dos, des nausées et peuvent dans certains cas être invalidantes.

  • Que prévoit la proposition italienne ? 

Un certificat annuel. La proposition de loi vise presque toutes les femmes. Celles ayant un contrat de travail à temps plein ou temps partiel, à durée déterminée ou indéterminé. Pour en bénéficier, les femmes devront fournir un certificat médical annuel attestant de la dysménorrhée. Le financement de la loi n'a pas été précisé par le dit texte. L'hebdomadaire l'Obs précise toutefois que la mesure pourrait être financée par "la sécurité sociale" italienne.

  • Comment cela se passe-t-il dans les pays qui ont déjà mis en place cette mesure ?

Le Japon précurseur. L'Italie n'est pas pionnière en la matière. Plusieurs pays ont même déjà fait voter des lois permettant aux femmes de prendre un congé menstruel en cas de règles douloureuses. C'est le cas du Japon, qui a mis en place cette loi dès 1947. Les femmes souffrant de dysménorrhée ont ainsi la possibilité de prendre jusqu'à deux jours par mois de congé menstruel. Mais l'application de ce congé dépend de l'entreprise qui peut décider de la durée de ce congé et refuser de l'accorder.

Dans les années 1980, la chercheuse Alice J. Dan, professeur au College of Nursing à l'université de l'Illinois à Chicago s'était penchée sur la question. Elle avait montré que ce congé était au fil des années de moins en moins plébiscité par les Japonaises. Elles étaient moins nombreuses à utiliser ce congé en 1981 (13%) qu'en 1960 (20 %).

D'autres pays d'Asie. Un congé menstruel de deux jours par mois est également en place en Corée du sud depuis 2001, à Taïwan depuis 2013 (qui accorde jusqu'à trois jours par an) et en Indonésie depuis 1948. Mais, là encore, peu d'Indonésiennes choisissent d'en bénéficier rapporte en 2015 le journal indonésien Jakarta Globe.

En Zambie aussi, depuis 2015, les salariées ont le droit à un jour de congé menstruel par mois, baptisé "fête des mères". Dans le pays, ce congé est attribué aux femmes sans qu'elles n'aient besoin de présenter un certificat médical. En théorie, les patrons qui refusent d'accorder ce congé sont sanctionnés par des amendes voire par de la prison. Mais selon un article de L'Obs publié en janvier, aucune sanction n'a été imposée pour l'heure.

Et dans certaines entreprises. Certaines entreprises devancent les États lorsqu'il s'agit des droits de leurs salariées. En 2007, Nike a inscrit dans son code de conduite la possibilité pour les femmes de prendre un congé menstruel, rappelait en 2016 le quotidien britannique The Independant.

La petite entreprise britannique "Coexist" permet également depuis l'an dernier à ses salariées de prendre jusqu'à trois jours de congés par mois pendant leurs règles douloureuses ou de travailler à domicile.  "J'ai géré beaucoup de femmes durant ma carrière et j'en ai vu certaines pliées en deux pendant leurs règles. Elles se sentent coupables et ont honte de prendre des jours de congé et restent assises à leur bureau en silence sans reconnaître qu'elles souffrent", justifiait en mars 2016 la codirectrice de "Coexist", Bex Baxter, au journal Bristol Post, affirmant vouloir briser un tabou.

  • Qu'en disent ses détracteurs ?

L'instauration d'un congé menstruel lorsqu'il est évoqué ou instauré suscite pourtant le débat. En Zambie, la loi ne fait pas l'unanimité certains employeurs dénonçant des abus, expliquait en janvier une journaliste de l'Obs.

Dans le Parisien, mercredi, Claire Serre-Combe, porte parole de l'association Osez le féminisme voit également dans le congé menstruel proposé en Italie une fausse bonne idée. Elle ne craint pas les abus mais selon elle, ce congé pourrait aggraver la progression des femmes sur le marché du travail. Même son de cloche de la part de Katy Waldman, une journaliste à Slate.comauteure d'un post publié en 2014 dans lequel elle expliquait que cette mesure ne peut avoir d'autre effet que de creuser les inégalités entre les hommes et les femmes, car cela augmente le coût du travail des femmes.

  • Et ses partisans ?

A l'inverse, Camille Froidevaux-Metterie, professeure de science politique à l'Université de Reims Champagne-Ardenne et membre de l'Institut Universitaire de France, estime que ce type de proposition est "plutôt positive". "Il se passe quelque chose aujourd'hui. On parle d'endométriose, de modélisation du clitoris, de la taxe sur les tampons. Les jeunes générations réinvestissent ces questions, réaffirment leur singularité sexuée", nous explique-t-elle.

"Les règles font partie de ces thèmes légitimes. Je suis choquée que certaines féministes et, surtout, les hommes dans la sphère du travail, fassent comme si les femmes n'avaient pas de corps. Et c'est selon moi une erreur de penser qu'avec ce type de proposition on enferme les femmes dans leur nature, d'autant que les hommes évoluent aussi dans leur mentalité sur ces questions", ajoute-t-elle. "Je ne sais pas si une loi est nécessaire mais inscrire dans le droit du travail que les règles constituent un vrai motif de congé maladie peut être une bonne idée. Cette proposition de loi a en tout cas le mérite de rendre publique et discutable une thématique qui était jusque là un grand tabou".

  • Et en France ?

La question ne semble pas avoir été déjà soulevée. "Elle n'a en tout cas jamais été abordée à l'Assemblée nationale", assure la députée PS Michèle Delaunay, membre de la commission affaire sociale à l'Assemblée nationale qui s'intéresse notamment à la santé et aux droits des femmes. "Heureusement, car je ne comprends pas cette idée qui est selon moi régressive", affirme-t-elle à Europe 1 avec vigueur. "Cette particularité ne doit pas être un motif d'absentéisme. Si les règles sont pathologiques, le médecin peut déjà délivrer un certificat médical. C'est une discrimination pour quelque chose qui est physiologique et une trahison du secret médical".