Projet de loi "asile et immigration" : les points qui font débat

Le projet de loi "asile et immigration" prévoit notamment de doubler la durée maximale des séjours en centre de rétention (photo d'illustration).
Le projet de loi "asile et immigration" prévoit notamment de doubler la durée maximale des séjours en centre de rétention (photo d'illustration). © JACQUES DEMARTHON / AFP
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Le gouvernement dévoile lundi un rapport sur l'intégration, commandé au député Aurélien Taché. Deux jours avant la présentation d'un projet de loi très contesté en Conseil des ministres.

Le volet "intégration" suffira-t-il à apaiser les esprits ? Lundi, le gouvernement présente les conclusions d'un rapport du député Aurélien Taché (LREM) avant la présentation mercredi en Conseil des ministres du projet de loi "asile et immigration". Le jeune parlementaire, passé par le Parti socialiste, défend, entre autres, la possibilité pour les demandeurs d'asile de postuler à un emploi en France plus rapidement, avant même que l'administration n'ait statué sur leur sort. L'accent devrait également être mis sur l'apprentissage de la langue. Les mesures, qui doivent être précisées dans la journée, visent à calmer le jeu deux jours avant la présentation du projet de loi. Un texte vivement critiqué par les associations, mais aussi par certains membres de la majorité, qui craignent la mise en place d'une logique "répressive". Europe1.fr fait le point sur les points les plus sensibles du texte.

  • Des délais d'instruction réduits pour les demandeurs d'asile

Ce que prévoit le projet de loi : Selon Gérard Collomb, "nos voisins résolvent beaucoup plus tôt" les demandes d'asile. Le projet de loi entend donc trancher ces demandes "en l'espace de six mois" en France, afin d'identifier "ceux qui sont persécutés dans leurs pays" et de "renvoyer les autres". Cela passerait par différentes évolutions, comme la réduction de 120 à 90 jours du délai pour déposer une demande d'asile après l'entrée en France et la notification au demandeur de la décision le concernant par "tout moyen", notamment par voie électronique.

Ce qui fait débat : "Nous avons peur qu'il y ait de plus en plus de procédures accélérées", a expliqué au site Infomigrants  Johan Ankri, responsable syndical à l'Office français de protection des réfugiés et apatrides (Ofpra), établissement public chargé d'examiner les demandes d'asile. Ces procédures, normalement appliquées dans des cas précis, lorsque le demandeur vient d'un pays d'origine "sûr" ou présente de faux documents, par exemple, sont traitées en deux semaines environ. "Comment voulez-vous en quinze jours convoquer un demandeur d'asile, lui faire passer un entretien, faire des recherches complémentaires sur son dossier, vérifier ses dires, prendre une décision et lui la notifier ?", interroge Johan Ankri. Deux syndicats de l'Ofpra ont appelé à faire grève mercredi pour protester contre le projet de loi.

  • Des possibilités de recours restreintes

Ce que prévoit le projet de loi : Toujours dans l'optique de réduire les délais d'instruction des dossiers, le texte instaure une réduction d'un mois à quinze jours du délai de recours à la Cour nationale du droit d'asile (CNDA), la juridiction devant laquelle les demandeurs peuvent contester une décision de l'Ofpra. Il prévoit aussi le développement des audiences par vidéo, donc à distance. Enfin, dans certains cas, le recours pourrait ne plus être suspensif, et donc ne plus empêcher l'expulsion d'un débouté.

Ce qui fait débat : Avec un délai réduit à quinze jours, "il deviendra très difficile de trouver une association ou un avocat" pour rédiger le recours, estime le Groupe d'information et de soutien des immigré-e-s (Gisti), comme de nombreuses associations venant en aide aux demandeurs d'asile. Ce délai compressé devrait en outre accélérer le rythme de traitement des dossiers à la CNDA. Son personnel, qui s'estime déjà débordé, a fait grève la semaine dernière. "On a déjà 325 dossiers à traiter chaque année. (...) Il va falloir qu'on en traite encore plus, alors qu'on est déjà à plus d'un dossier par jour ouvrable", déplorait alors une rapporteuse de la Cour interrogée par Le Monde.

  • La durée maximale de rétention doublée

Ce que prévoit le projet de loi : C'est la mesure phare du texte pour faciliter les expulsions. La durée maximale dans les centres de rétention administrative (CRA) pour l'instant établie à 45 jours, passerait à 90, voire 135 en cas d'"obstruction" à une décision d'éloignement. Avec cet allongement, les pouvoirs publics disposeraient de plus de temps pour mener les démarches de renvoi, notamment pour obtenir les laissez-passer consulaires. Le gouvernement souligne que ce délai reste dans la fourchette basse de l'Union européenne : il est par exemple de 180 jours en Allemagne.

Ce qui fait débat : La première critique concerne l'efficacité de cet allongement. "On sait depuis des années que la durée de rétention influe très peu sur les mesures exécutées", assure David Rohi de la Cimade (Comité inter-mouvements auprès des évacués), association d'aide aux étrangers. Selon l'organisation, cette durée est de douze jours en moyenne et "le taux d'éloignement est inférieur à 1 ou 2%" au-delà de quinze jours.

Les conditions de vie au sein des centres de rétention pourraient également s'inviter dans le débat au Parlement : plusieurs députés ont en effet été invités à les visiter dans le cadre de la préparation de la loi. "Je ne pensais pas qu'un CRA ressemblait autant à une prison. Je ne pense pas qu'on puisse garder quelqu'un si longtemps, sans avoir une activité, sans avoir une vision de son parcours", a par exemple jugé Erwann Balanant (MoDem), qui s'est rendu dans un établissement de Rennes.

La rétention des "dublinés" et le recensement des migrants

Deux dispositions controversées ayant égard à l'asile et à l'immigration ont suscité un vrai débat en amont du projet de loi et pourraient donner le ton au moment de son examen par le Parlement, prévu en avril.

  • Le recensement des migrants en hébergement d'urgence

La circulaire dite "Collomb", du 12 décembre 2017, instaure des contrôles de migrants au sein des centres d'hébergement d'urgence. Selon les associations, elle revient à organiser un "tri" selon les nationalités, mettant "en concurrence les situations de pauvreté et de misère sur le fondement de critères discriminatoires". À la fin de l'année, l'émoi avait gagné l'Assemblée nationale, où la députée LREM Sonia Krimi avait interpellé le ministre de l'Intérieur, réclamant une politique migratoire "plus juste et plus humaine". L'examen du texte par le Conseil d'État, vendredi dernier, pourrait calmer les esprits : le gouvernement a promis une application souple de la circulaire en attendant qu'elle ne soit précisée par un autre texte, selon Le Monde.

  • Le placement en détention des "dublinés"

Pour le gouvernement, une seconde disposition ne pouvait pas attendre le vote du projet de loi "asile et immigration". Elle a donc fait l'objet d'un texte à part, définitivement adopté par le Parlement, jeudi dernier : les "dublinés", ces étrangers qui rejoignent l'Union européenne et doivent en théorie déposer une demande d'asile dans le premier pays qu'ils atteignent, peuvent désormais être placés en centre de rétention dans l'Hexagone. Le gouvernement entend ainsi multiplier les expulsions dans un délai de six mois, au-delà duquel la procédure "Dublin" tombe, et une demande peut être alors déposée en France. Les critiques dénonçant une mesure "d'enfermement préventif", ces dernière semaines, n'ont pas empêché les députés LREM-Modem et la droite de voter pour.