Payés 2.000 euros la journée : le scandale des intérimaires hospitaliers perdure

© JEFF PACHOUD / AFP
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Jihane Bergaoui, Mélanie Nunes, Shanel Petit, Sandrine Prioul, édité par A.H.
ENQUÊTE - Infirmiers, urgentistes, anesthésistes… L'hôpital public manque de bras. Pour assurer la continuité des soins, des intérimaires sont appelés en renfort, pour des sommes colossales.
ENQUÊTE EUROPE 1

C'était une urgence pour l'ancienne ministre de la Santé Marisol Touraine : enrayer le recours à des intérimaires hospitaliers hors de prix, payés trois fois plus chers que leurs collègues titulaires. Chaque année, cette pratique coûte la somme colossale d'un demi-milliard d'euros à la Sécurité sociale. Un an plus tard, la sénatrice LR Frédérique Gerbaud vient d'écrire à la nouvelle ministre de la Santé, Agnès Buzyn. Elle dénonce toujours "un recours abusif aux praticiens intérimaires". 

"Doubler son salaire sans doubler son temps de travail". En effet, en un an, rien n'a changé, en dépit des mesures annoncées à l'époque par Marisol Touraine. Pire, la situation serait en train d'empirer. Ces intérimaires peuvent demander jusqu'à 2.000 euros pour une garde de 24 heures. "La pénurie étant ce qu'elle est, l'offre est pléthorique. Avec des remplacements, on peut doubler son salaire, sans doubler son temps de travail", illustre un médecin anesthésiste interrogé par Europe 1, qui, pour une garde de 24 heures, n'hésite pas à demander 1.300 euros.

Pour les intérimaires, des avantages et des inconvénients. L'hôpital public manque toujours autant d'urgentistes, d'anesthésistes, de radiologues. Mais la nouveauté, c'est que l'intérim touche désormais d'autres métiers à l'hôpital, comme les infirmiers et les infirmières. "Je travaille une vingtaine de jours par mois, et j'arrive à gagner environ 2.500 à 3.000 euros. En tant que jeune diplômée, si j'avais été dans le public, j'aurais touché aux alentours de 1.500 à 1.600 euros", explique l'une d'entre elles au micro d'Europe 1.

Mais son témoignage en atteste : ce choix ne compte pas que des avantages. "Là, je fais de tout, je vais dans le privé et dans le public, à la clinique, à la maison de retraite. C'est un peu 'Koh-Lanta'. J'arrive souvent dans des endroits où je suis seule, où je n'ai ni collègue ni direction à qui parler. Il faut pouvoir s'adapter à du nouveau matériel, de nouveaux patients", illustre-t-elle. C'est tout le problème de cette pratique. Ces intérimaires viennent ponctuellement à l'hôpital, ne connaissent pas les services ou le matériel, et en bout de chaîne, c'est le patient qui en pâtit, puisque le suivi ou la qualité des soins ne sont pas aussi bien assurés.

"On n'a pas le choix". Mais voilà, face à la pénurie de praticiens, les hôpitaux sont contraints de recruter ces médecins vacataires. Financièrement, c'est une machine infernale. La directrice du CHU de Châteauroux, Evelyne Poupet, a dû tripler son budget pour payer ses intérimaires. En deux ans, l'enveloppe est passée de 300.000 euros à un million d'euros. "En radiologie, nous n'avons que trois médecins, alors qu'il nous en faudrait sept. Tout le reste, ce sont des médecins intérimaires. Ça augmente considérablement la charge de dépenses de personnels", regrette-t-elle. Mais Evelyne Poupet assure "ne pas avoir le choix si on veut assurer la continuité des soins."

Donner plus de moyens aux hôpitaux publics. Invité d'Europe 1 Bonjour mercredi, Frédéric Valletoux, directeur de la Fédération hospitalière française, dénonce justement "la gangrène" que représente l'intérim dans le public, "car il pénalise les budgets hospitaliers". Il estime que "la solution serait de donner plus d'outils de rémunération aux dirigeants hospitaliers", qui pourraient ainsi retenir leurs praticiens, largement mieux payés dans le privé.

Tous les spécialistes s'accordent à dire qu'il n'y a pas de solution miracle à ce problème. Pour eux, la priorité est de redonner aux internes l'envie de rejoindre l'hôpital. Et pour ça, il faut investir.