L'exploitation de la stévia et le concept de biopiraterie

La stevia est un édulcorant tiré d'une plante verte originaire d'Amérique du Sud.
La stevia est un édulcorant tiré d'une plante verte originaire d'Amérique du Sud. © AFP
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Clémence Olivier , modifié à
Des associations accusent des entreprises dont Coca-Cola de s'être appropriées les propriétés de la stévia, sans en faire partager les peuples à l'origine de sa découverte.

C'est la plante à la mode. La stévia, qui pousse en Amazonie, est la chouchoute de l'industrie agroalimentaire. Depuis quelques années, elle est utilisée à toutes les sauces afin d'alléger en sucre boissons et denrées et notamment le Pepsi et le Coca-Cola. Mais son utilisation pose problème, affirment la Fondation France Libertés-Danielle Mitterrand, la plate-forme de mobilisation internationale SumOfUs et les ONG suisses Public Eye et Pro Stevia Schweiz. Ces associations accusent plusieurs entreprises de s'être appropriées les propriétés de la stévia, sans contrepartie pour les peuples à l'origine de sa découverte. Elles ont lancé en novembre une campagne de sensibilisation et une pétition qui a déjà recueilli plus de 200.000 signatures. Selon elles, il s'agit de biopiraterie.

La biopiraterie, c'est quoi ?   

La biopiraterie est le fait de s'approprier et de commercialiser des ressources biologiques et des connaissances traditionnelles des peuples ruraux ou autochtones pour en faire du profit. "Les entreprises ou les instituts de recherche accaparent la biodiversité en copiant les techniques et les savoir-faire traditionnels. Elles déposent un brevet et ne font pas profiter les populations autochtones de leurs bénéfices", indique Marion Veber, en charge du programme sur les droits des peuples pour la fondation France Libertés-Danielle Mitterrand. Parmi les biopirates, on trouve principalement des firmes pharmaceutiques, des entreprises agroalimentaires ou cosmétiques.

Quelles sont les ressources concernées ?

Cela concerne aussi bien les plantes, comme la stévia, que les semences, utilisées afin de créer de nouveaux organismes génétiquement modifiées, par exemple.

Pourquoi le cas de la stévia pose-t-il problème?

Toutes les entreprises reconnaissent que les propriétés de la stévia ont été découvertes il y a des siècles par les Indiens Guarani-Kaiowa du Brésil et Paï Tavyterâs du Paraguay. Mais elles utilisent pourtant ce savoir-faire à des fins commerciales sans leur en faire partager les bénéfices. "En France, une vingtaine d'entreprises sont visées par la pétition, notamment Auchan, Carrefour ou Casino", explique Marion Veber. "On veut agir sur le plan moral et éthique. Les peuples sont à l'origine du savoir. On sait également que ce peuple est dans une situation dramatique. Au Brésil notamment, les Indiens sont confrontés à des problèmes d'accès à la terre. Partager les avantages de la stévia avec les entreprises, leur permettraient de vivre mieux".

Existe-t-il d'autres exemples flagrants de biopiraterie?

Le neem, le margousier indien, est un autre exemple de ressource naturelle "biopiratée". Cet arbre aux propriétés médicinales a fait l'objet de plusieurs brevets.  "Les dépôts de brevets ont entraîné une augmentation des prix, ce qui posait de réels problèmes aux populations locales qui ne pouvaient plus l'utiliser", précise Marion Veber. "Mais les brevets sur le neem ont été retirés à la suite d'une campagne en Inde et en Europe au milieu des années 1990. Cela a permis de créer la première jurisprudence européenne en la matière."L'entreprise française Greentech a également été contrainte de retirer son brevet déposé sur l'utilisation de l'huile et des protéines extraites de la sacha inchi. "Cette plante péruvienne est très riche en acide gras. Mais ces propriétés sont connues au Pérou depuis des millénaires", complète la chargée de programme "Droits des peuples".

Les entreprises sont-elles les seules accusées de biopiraterie ?

Le monde de la recherche est également pointé du doigt par les associations. Le cas par exemple de l'IRD, l'institut de recherche et de développement. "L’IRD a fait une demande de brevet sur les propriétés antipaludéennes du Quassia Amara. Il s’agit de propriétés bien connues des communautés locales et autochtones de Guyane qui l’utilisent dans de nombreuses recettes de remèdes traditionnels", explique Marion Veber.  "Pour nous, cette demande de brevet est biopirate puisqu’elle ne remplit pas le critère de nouveauté et d’inventivité de la propriété intellectuelle". La fondation France- Libertés a fait opposition au brevet devant l'Office européen des brevets, qui devra rendre sa décision prochainement.

 

Quelles sont les solutions pour lutter contre la biopiraterie ?

En août, la France a ratifié le protocole de Nagoya, adopté en 2010 au Japon, dont l'objectif est de lutter contre la biopiraterie. Cela signifie qu'elle s'engage à faire profiter les peuples détenteurs des savoirs d'une partie des avantages offerts par sa commercialisation. "Le décret d'application est entré en vigueur ce mois-ci dans le cadre de la loi sur la biodiversité", se réjouit la fondation France Libertés, notant toutefois que ce sont les États, qui, individuellement, décident de sa mise en oeuvre.