Les victimes démunies face au harcèlement sexuel en entreprise

© BERTRAND GUAY / AFP
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Pauline Jacot, édité par A.H. , modifié à
ENQUÊTE - D'après une étude du défenseur des droits, 1 femme sur 5 est harcelée sexuellement au cours de sa carrière, mais il y a encore aujourd’hui très peu de condamnations.
L'ENQUÊTE DU 8H

Une femme sur cinq est harcelée sexuellement au cours de sa carrière, selon une étude du Défenseur des droits. Sandrine, employée dans une grande entreprise d'Île-de-France, a subi les insistances, puis les assauts de l'un de ses supérieurs hiérarchiques. 

"Perdre mon travail, c'était la seule échappatoire". Au micro d'Europe 1, elle a raconté son calvaire, qui a conduit à un arrêt maladie, puis la perte de son emploi. "Il gardait mes mains dans les siennes, il caressait mes doigts, embrassait mes mains… Dix secondes plus tard, il recommençait. Un jour, dans son bureau, il a carrément essayé de me forcer à l'embrasser. Il a recommencé quelques minutes plus tard et j'ai fini par quitter son bureau", se souvient-elle douloureusement. "Entre le moment où j'ai alerté sur ces faits, et le moment où j'ai pu être licenciée, il s'est passé plus d'un an. C'est dramatique de perdre son travail, mais pour moi, c'était la seule échappatoire", confie Sandrine.

Difficile de prouver le harcèlement. Dans une telle situation, que la victime perde son travail est quasiment systématique, à en croire les avocats, les associations et les médecins du travail. Le premier obstacle qui se pose aux victimes, c'est d'apporter la preuve du harcèlement qu'elles subissent. Souvent, les cas de harcèlement sexuel se passent à huis clos, le soir, tard, sans témoins. "Beaucoup de victimes ne vont pas être crues. Malheureusement, les collègues de travail ont souvent peur de témoigner", avance Sandra Bouchon, juriste pour le Défenseur des droits. Or, il faut arriver devant sa direction avec un dossier déjà complet, disent les victimes, "comme si on passait tout de suite devant un juge". "Comment prouver ces agissements ? La seule façon, c'est de finir par enregistrer les propos à l'insu de l'auteur. Mais ce n'est pas déclaré recevable au niveau des juridictions civiles aujourd'hui", indique Sandra Bouchon.

Peu d'entreprises respectent les règles. Pour les victimes, le principal point de blocage est la peur de perdre son travail. La précarité empêche certaines de parler. Il n'y a, à ce jour, aucun dossier de harcèlement sexuel concernant des femmes en CDD ou en intérim sur le bureau du Défenseur des droits. La loi oblige pourtant les entreprises à avoir des dispositifs contre le harcèlement sexuel. Mais selon une étude de l'Ifop de 2014, seules 18 % des entreprises ont mis en place ce dispositif. Les petites entreprises, elles, n'ont globalement aucun système formel de remontée d'informations. Les grandes entreprises, comme EDF par exemple, disposent souvent d'un numéro d'appel gratuit et anonyme. 

Entendu sur europe1 :
Il n'y a pas de case 'harcèlement sexuel', alors que cela correspond à des articles spécifiques du code du travail

Impossible à signaler pour les inspecteurs du travail. Selon les avocats, les psychiatres, les médecins du travail, et les DRH eux-mêmes, ce qui manque, c'est la formation des managers à la problématique du harcèlement sexuel. Finalement, c'est tout un système qu'il faut changer, jusqu'au plus haut niveau. Muriel est inspectrice du travail en Île-de-France. Sur le formulaire type qu'elle utilise lors des contrôles, elle ne peut même pas signaler les cas de harcèlement sexuel en entreprise. "Sur la première page, on a 'ambiance thermique' ou 'aménagement des postes de travail'… Si je me promène dans cette liste, il n'y a pas de case 'harcèlement sexuel', alors que cela correspond à un registre d'interventions, et à des articles spécifiques du code du travail", déplore-t-elle. Cette absence de catégorisation explique d'ailleurs le peu de données dont les professionnels disposent.

Selon Équilibres, un grand cabinet de formation parisien, quelques entreprises ont appelé pour se renseigner depuis l'affaire Weinstein. Mais les patrons parlent de sexisme, et non de harcèlement sexuel. Preuve que ce délit reste encore largement tabou au sein des entreprises.