Les neurosciences peuvent-elles aider l’école ?

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En installant un conseil scientifique, Jean-Michel Blanquer veut améliorer les techniques d’apprentissage grâce notamment aux neurosciences. 

Comment mieux apprendre à apprendre ? Comment mieux cerner les problèmes de compréhension des élèves ? Autant de questions auxquelles les neurosciences pourraient répondre. Ce mercredi, le ministre de l’Éducation nationale Jean-Michel Blanquer a installé un conseil scientifique dirigé par le professeur de psychologie cognitive Stanislas Dehaene. Le rôle de ce conseil sera notamment de se pencher sur le contenu des formations enseignantes ou des manuels scolaires.

Au fait, c’est quoi les neurosciences ? C’est une véritable marotte du nouveau "boss" de l’Éducation nationale. Mais c’est quoi au juste ? Les neurosciences explorent l'organisation et le fonctionnement du cerveau. Les progrès considérables accomplis ces dernières années grâce au développement des techniques d'imagerie cérébrale permettent d'apporter de nouvelles réponses sur son fonctionnement. De nombreux scientifiques partagent l'idée que l'enseignant devrait se saisir des éléments de connaissance sur le cerveau pour enseigner et adapter ses pratiques aux activités cognitives de l'élève.

Que peuvent-elles apporter à l’école ? "Il ne faut pas croire qu’on va directement prendre une activation dans le cerveau et essayer d’expliquer ensuite comment on va faire de la démagogie", explique sur Europe 1 Grégoire Borst, professeur de neurosciences de l’éducation à l’Université Paris-Descartes et au CNRS. Il y a évidemment l’ensemble des disciplines qui doivent co-agir et co-construire la pédagogie de demain et aider les équipes pédagogiques". Un propos partagé par le ministre lui-même qui a bien compris les réticences d’une partie du corps enseignant. "C'est par des approches pluridisciplinaires que nous pourrons nourrir nos réflexions", explique-t-il ce mercredi dans un entretien au Figaro.

" Prendre les neurosciences comme un outil supplémentaire que les enseignants vont avoir à leur disposition pour travailler. "

 

"Il faut qu’on fasse connaître nos recherches auprès de la communauté éducative", poursuit Grégoire Borst. "Et charge ensuite à la communauté éducative de voir si elle peut s’en servir dans les apprentissages. Je pense que c’est comme ça qu’il faut travailler avec le monde de l’école. Il ne faut pas leur dire quoi faire mais discuter avec eux pour essayer d’instaurer un aller-retour entre le laboratoire et l’école". Caroline Tambareau, professeur d’histoire-géographie et d’instruction morale et civique à Rouen, abonde dans ce sens. "Prendre les neurosciences comme un outil supplémentaire que les enseignants vont avoir à leur disposition pour travailler, je trouve ça formidable", assure-t-elle.  

Sur quels contenus précisément ? Il y a des domaines très précis qui ont été identifiés. "Dans le domaine de la lecture, on s’est rendu compte, notamment avec les travaux de Stanislas Dehaene, qu’il existe des liens entre le traitement de l’information verbale et le traitement cérébral", explique Bérengère Guillery-Girard, maître de conférences en neuropsychologie à l’École pratique des Hautes études.

En mathématiques, les chercheurs ont également constaté qu’il pouvait y avoir des explications à certaines incompréhensions. Grégoire Borst a notamment travaillé avec une équipe pédagogique qui ne comprenait pas pourquoi certaines erreurs étaient systématiques chez des enfants de CM1-CM2 avec la résolution de problèmes arithmétiques. "Quand on dit : 'Pierre a 10 billes, il en a 5 de plus que Jean. Combien Jean a-t-il de billes ?' Les enfants répondent le plus souvent '15 billes' alors que la réponse est évidemment 5", prend comme exemple ce professeur de neurosciences de l’éducation. "Simplement parce qu’il entend 'plus' dans l’énoncé, et que jusqu’à maintenant on lui a expliqué que le plus, c’était l’addition et le moins, la soustraction".

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En revenant au laboratoire, Grégoire Borst a fait une petite expérience et démontré d’un point de vue scientifique que finalement, ce qui bloquait l’enfant dans cet apprentissage, ce n’était pas tant qu’il ne connaissait pas la règle logique mais plus "qu’il avait du mal à résister à un automatisme". Quand ils sont revenus vers l’équipe pédagogique, ils leur ont expliqué qu’il ne fallait plus représenter ce problème aux enfants mais plus faire "comprendre son erreur". "Il faut lui faire prendre conscience qu’il y a des stratégies qui entrent en compétition dans le cerveau et que, pour pouvoir résoudre ce problème-là, il faut bloquer l’automatisme pour activer la règle logique", explique-t-il.

Quelles sont les critiques ? "J’ai un peu peur que ça devienne une espèce de martingale pédagogique qu’on imposerait aux enseignants", s'inquiète sur Europe 1 Caroline Tambareau, professeur d’histoire-géographie et d’instruction morale et civique à Rouen. "On est devant un phénomène de séduction", assure même au Parisien Roland Goigoux, professeur à l'université Blaise-Pascal de Clermont-Ferrand. Selon lui, les neurosciences sont "un continent à explorer" mais pas le seul. Comme les autres signataires d'un appel lancé début décembre par le premier syndicat d'enseignants du primaire Snuipp, Roland Goigoux craint que l'intérêt démontré du ministre de l'Education pour les neurosciences ne laisse de côté d'autres pans utiles de la recherche, comme par exemple la sociologie ou les sciences de l'éducation.