Les curiosités répressives du salon Eurosatory de la défense

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Sur le salon Eurosatory, la société d'armement russe Kalashnikov fait sa promotion. © Ariane Lavrilleux / Europe 1
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M.B. et Ariane Lavrilleux , modifié à
Ce salon international de l'armement est une "vitrine de la répression mondiale", dénonce l'ONG Amnesty International.
REPORTAGE

C'est le plus grand salon international de la défense, et il se tient en France. Du 13 au 17 juin, le parc des Expositions de Villepinte, au nord de Paris, accueille Eurosatory. Plus de 1.500 exposants venus de 56 pays sont attendus pour présenter, vendre et acheter des blindés, des drones, des missiles ou des systèmes de radio. Incontournable pour les professionnels de l'armement, ce salon est pourtant très critiqué par les ONG. Parmi elles, Amnesty International dénonce une "vitrine de la répression mondiale". Et pointe notamment la promotion d'armes russes, ainsi que la publicité d'équipements français destinés à être vendus à des régimes répressifs comme ceux de l'Egypte ou de l'Arabie Saoudite.

Malgré un embargo sur la Russie... En théorie, en effet, les Russes ont l'interdiction d'apporter des armes sur le sol français. Après l'invasion de l'Ukraine, l'Union européenne a imposé, depuis 2014, un embargo sur les exportations et importations "d'armements et de matériel connexe de tous types", ce qui englobe "armes, munitions, véhicules et équipements militaires et paramilitaires". Pour contourner cette interdiction, la Russie se contente donc de faire la promotion de son armement. Pour preuve, à Eurosatory, douze stands russes affichent vidéos et photos de chars, kalachnikovs et lance-roquettes. 

Embargo ou pas, Vladimir Dmitriev, directeur marketing de Kalachnikov, est bien décidé à faire des affaires. "Les sanctions ne vont pas durer", lance-t-il aux clients intéressés. Avant de leur offrir un flyer pour les inviter à venir "directement à Moscou, au salon de l'armement de septembre", pour faire leurs emplettes en toute tranquillité.

...le gouvernement français a donné son feu vert. L'entreprise VPK a même obtenu le droit d'exposer et de vendre directement son "Tigr". Un véhicule blindé, intérieur camouflage, utilisé par l'armée pour les opérations des forces spéciales anti-terroristes, qui sert aussi "à la sécurité civile et aux entreprises privées pour les transferts de fonds", précise un responsable du groupe russe. Si ce 4x4, surmonté d'un gyrophare, est autorisé sur le salon, c'est bien parce qu'il a obtenu le feu vert du gouvernement français pour sa qualité de "véhicule civil", confirme Grégoire Verdon, directeur d'Eurosatory. Et pour couper court à toute critique sur le non-respect de l'embargo, VPK a pris ses précautions. Le Tigr exposé est un exemplaire récemment vendu à une société slovaque. Techniquement, il n'est donc plus considéré comme appartenant à la Russie.

Tigr Russe ok

"On se reverra ailleurs". Les Russes ne se contentent pas de faire de la pub. Certains sont aussi à l'affût de nouveautés à acheter. Anatoli Choumski, qui travaille pour Rosoboronexport, la centrale d'achat d'armes du gouvernement russe, a visiblement été mal informé sur les termes exacts des sanctions européennes. "L'embargo s'applique à tous les pays ?", demande-t-il, incrédule. Lui qui pensait faire ses courses directement sur le salon ne peut pas, sur le sol français, repartir avec un missile coréen dans ses bagages. Qu'à cela ne tienne. "On va prendre des contacts ici, et on se reverra ailleurs plus tard", conclut le commercial. 

Des blindés français pour contrôler les foules égyptiennes. Mais la Russie n'est pas le seul pays dans le collimateur d'Amnesty International. L'ONG reproche également à la France de faire la promotion de certains équipements vendus à des régimes répressifs. Ainsi, Renault Trucks est l'un des exposants les plus importants : pas moins de quatre stands, à côté de celui du ministère français de la Défense. En vedette, les véhicules blindés vendus au Raid et l'un des classiques du groupe tricolore, le "Sherpa Light scout". Ce 4x4 blindé est très apprécié, notamment des forces de sécurité au Moyen-Orient. Le pouvoir égyptien, qui en a acheté 191 entre 2012 et 2014, selon le registre de commerce de l'ONU, s'en sert par exemple pour le contrôle des foules. 

Sherpa light

Des sanctions européennes... Or, ce contrôle se révèle souvent meurtrier. Depuis l'arrivée au pouvoir du président Al-Sissi, chaque rassemblement est devenu une occasion, pour le régime égyptien ultra autoritaire, de faire une démonstration de force. Le 25 janvier 2015, lors de l'anniversaire de la révolution, 27 personnes ont été tuées. Pour éviter ces drames, les ministres de l'Union européenne s'étaient pourtant engagés à stopper les exportations servant à la répression. Une décision prise après le massacre de 638 à 2.600 personnes en 2013, lors de l'évacuation du sit-in des Frères Musulmans sur plusieurs places du Caire.

... que la France ne respecte pas. Trois ans plus tard, force est de constater que la France a du mal à tenir ses engagements. "Nous respectons les règles fixées par l'État français et nous avons l'autorisation de la commission d'exportation des armes", se défend un responsable de Renault Trucks. "Ensuite, comment savoir comment sont utilisés nos blindés ?" Un argument qui ne tient pas pour Aymeric Elluin, d'Amnesty International. Lui s'étonne de "l'hypocrisie de l'argumentaire". "Renault Trucks est aussi responsable de ce qu'elle vend et à qui. L'Égypte a une pratique meurtrière du recours à la force." Entre 2012 et 2013, des pays européens ont stoppé 39 contrats d'exportation vers l'Égypte pour cette raison. La France n'en faisait pas partie.