Le berger de Caussols était-il "l'exécutant des basses œuvres pour le milieu" ?

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Anaïs Huet , modifié à
Michel Lambin, déjà condamné à 18 ans de réclusion pour assassinat, comparait lundi devant les assises des Alpes-Maritimes pour le meurtre, il y a quinze ans, d'un gardien d'école. Un meurtre qui aurait été opéré sous contrat.

On l'appelle le "Berger de Caussols". Mais Michel Lambin ne correspond pas exactement à l'image presque bucolique de l'éleveur de chèvres, produisant son fromage dans la quiétude de ce village d'à peine 250 habitants, dans les Alpes-Maritimes. Lundi, cet homme de 67 ans est jugé devant la cour d'assises de Nice pour l'assassinat d'un gardien d'école. Personnalité mystérieuse, multiple - tantôt affable, blagueur, tantôt capable d'une extrême violence - Michel Lambin serait en fait un "tueur à gages", "l'exécutant des basses œuvres pour le milieu", selon la description faite par l'accusation.

Un meurtre visiblement prémédité. Le 5 décembre 2002, Robert Ludi, 33 ans, est abattu de deux balles de calibre 11,43 mm en pleine face dans sa Peugeot 205 sur le parking de l'établissement scolaire dans lequel il travaille comme gardien, à Antibes. Il était 18h30, la nuit était tombée et Robert Ludi venait d'avoir sa sœur au téléphone, raconte Me Frédéric Gascard, avocat de la famille, partie civile. "Il était plutôt au fond du parking, les balles n'ont pas été tirées à travers la vitre. C'est porte ouverte que le tireur l'a abattu, puis il a refermé la porte. Il n'est pas mort tout de suite et a agonisé une bonne partie de la nuit", décrit le conseil. Ce n'est que le lendemain que la sœur s'est inquiétée de son absence à un déjeuner chez leur mère et a découvert le corps dans la voiture en stationnement.

Pourquoi Robert Ludi, homme a priori sans histoire, a-t-il été exécuté aussi froidement ? Les enquêteurs ont établi que le seul tort de la victime aurait été de fréquenter l'ex-compagne et mère de l'enfant d'une figure du grand banditisme azuréen, Emile Fornasari, 56 ans. L'homme est apparemment un ami de Lambin. Lundi, il est jugé à ses côtés pour complicité d'assassinat en récidive, et déjà détenu pour braquages. En 2001, c'est chez le berger qu'il aurait trouvé refuge après s'être évadé en hélicoptère de la maison d'arrêt de Draguignan. Pour éliminer ce rival amoureux, Emile Fornasari aurait payé le berger plusieurs dizaines de milliers d'euros.

 

Combien de meurtres à son actif ? Si Michel Lambin comparait aujourd'hui devant la cour d'assises des Alpes-Maritimes, c'est notamment parce que le pistolet automatique qui a été utilisé pour exécuter Robert Ludi a été découvert caché dans sa propriété. Me Isabelle Gortina, l'avocate de Lambin, assure que l'arme n'appartient pas à son client. Mais cet élément à charge n'est pas le seul levier des enquêteurs de la PJ de Nice. Le témoignage à charge de l'ancienne compagne de Michel Lambin, qui a partagé sa vie pendant 25 ans, ne fait qu'étayer une réputation déjà bien bâtie d'homme de main.

En 2011, alors qu'il comparait pour le meurtre d'un malfaiteur, Jean-Yves Guerrée, elle décrit à la barre les scènes barbares que lui aurait raconté Michel Lambin. Le sexagénaire est condamné en appel à 18 ans de réclusion, une peine qu'il exécute toujours en Seine-et-Marne. Mis en cause dans deux autres affaires d'assassinat, l'éleveur de chèvres a bénéficié à chaque fois d'un non-lieu. Si la plupart des affaires sont aujourd'hui prescrites, il pourrait être impliqué directement dans une dizaine de meurtres, essentiellement des truands, selon les enquêteurs. "Il a peut-être tué plus que Guy Georges mais n'est pas ce qu'on appelle un tueur en série", indique une source proche de l'enquête au Parisien.

Un caméléon. Véritable Docteur Jekyll et Mister Hyde, Michel Lambin est une personnalité bien difficile à cerner. "Adorable, blagueur, enjoué, travailleur pour beaucoup, Lambin n'est pas 'l'archétype du tueur en série' pour les policiers spécialisés en matière criminelle", écrivait Nice-Matin en mai 2011, lors de son premier procès pour l'assassinat de Jean-Michel Guerrée. Tour à tour charcutier, électricien et braqueur en région parisienne, puis hôtelier à Grasse avant d'entamer la production de fromages en Paca, Michel Lambin est aussi passionné de plongée, de spéléologie et d'archéologie. Un "roc", touche-à-tout, fréquentant tous les milieux, y compris donc celui du banditisme.

Lors du procès du meurtre de Jean-Michel Guerré, la carapace du berger azuréen s'était fêlée quand l'expert psychiatre, qui retraçait son passé, avait évoqué la mort brutale de son fils de 26 ans dans un accident de moto. C'est à ce moment que Michel Lambin avait craqué, admettant avoir fait feu à deux reprises sur le braqueur de 37 ans. C'est la seule et unique fois que Michel Lambin a reconnu sa culpabilité. Aujourd'hui, il maintient son innocence pour l'assassinat du gardien d'école.

De gros problèmes de santé et un procès exceptionnel. Désormais, Michel Lambin n'a plus la force physique qu'on lui connaissait. Atteint d'une sciatique paralysante, il passera son procès alité dans le box des accusés - une première en France - et les audiences ne dépasseront pas quatre heures par jour, entrecoupées d'une pause. "Il a toute sa tête mais est assez amoindri car il prend énormément de médicaments anti-douleur", explique son avocate Me Isabelle Gortina. Pour ce procès, qui durera jusqu'au 22 décembre, elle plaidera l'acquittement.