La traque d'un violeur de fillettes par un gardien de la paix : "cette histoire ne pouvait pas rester aux oubliettes"

Le quartier de La Villeneuve à Grenoble, en 2012.
Le quartier de La Villeneuve à Grenoble, en 2012. © AFP
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Guillaume Perrodeau
Chez Christophe Hondelatte, Philippe Savelli revient sur sa traque d'un violeur en série, alors qu'il était un simple gardien de la paix, à Grenoble dans les années 1980.

Dans les années 1980, du côté de Grenoble, un gardien de la paix, Philippe Savelli, réussit à résoudre une affaire de violeur en série, sur laquelle les officiers de Police de la ville avaient tous échoué. Une histoire singulière, que l'intéressé raconte chez Christophe Hondelatte mercredi.

Un gardien de la paix chez les officiers. En 1987, cela fait quatre ans que la police de Grenoble n'arrive pas à arrêter un violeur en série qui sévit dans le quartier de La Villeneuve. Depuis 1983, au total, 20 fillettes de 8 à 15 ont été violées. À chaque fois, elles décrivent le même mode opératoire et le même homme : un homme brun avec des lunettes noires, qui se balade avec un colis sous le bras et se fait passer pour un livreur. C'est à ce moment-là que le commissaire principal, chef de la Sûreté Urbaine, fait appel à un simple gardien de la paix, Philippe Savelli, pour résoudre l'affaire. Ce qui ne plaît évidemment pas aux officiers de la Police Judiciaire chargée de l'enquête. "Il m’a fait venir car je venais d’élucider une importante affaire de stupéfiant", explique Philippe Savelli au micro d'Europe 1.

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"Ça me semblait tellement évident que je n’osais pas le dire". Lorsqu'il consulte le dossier, il a immédiatement un plan. Si simple, qu'il n'ose pas croire que ses prédécesseurs ne l'aient pas tenté. Le violeur frappe toujours dans même quartier, souvent en fin d'après-midi et il se présente toujours avec un colis. Philippe Savelli va donc choisir de s'installer sur le toit d'une tour, en planque, pour attendre quelqu'un qui correspond à la description. "Ça me semblait tellement évident comme opération, que je n’osais pas le dire", confie-t-il. Mais ce gardien de la paix qui a des idées et veut sortir les grands moyens, ça ne plaît pas à ses collègues. "Pas les moyens", lui répond-t-on. Alors Philippe Savelli va s'en charger. Seul.

"J’ai un doute et je le relâche". Pendant cinq mois, Philippe Savelli va venir en planque tous les jours sur le toit d'une tour du quartier de La Villeneuve, guettant le moindre suspect. Durant cette période, d'autres viols ont lieu. Un jour, il voit un homme avec un carton sous le bras au loin. Le temps de descendre, il a disparu. Une autre fois, c'est quelqu'un qui correspond exactement à la description qu'aperçoit Philippe Savelli. Une demi-seconde d'inattention plus tard, l'homme se volatilise.

C'est le 27 octobre 1987 que Philippe Savelli va être tout près du but. Alors qu'il est en patrouille dans le quartier, il repère un homme, assis, à attendre, les cheveux grisonnants, un paquet à la main. Philippe Savelli croit reconnaître son homme, il en est sûr. Sa collègue refuse de l'accompagner alors il part l'appréhender seul. Lorsque Philippe Savelli veut lui passer les menottes au poignet, l'inconnu se défend et prétend attendre sa femme et sa fille. Et le sang du gardien de la paix ne fait qu'un tour lorsqu'il s'aperçoit que l'homme a les yeux bleus, et pas marron, comme mentionné par les victimes. "Je me retrouve avec un homme qui a les yeux bleus. Ça et la pression des officiers de police, j’ai alors un doute et je le relâche", se souvient Philippe Savelli. Mais changement immédiat d'attitude de l'inconnu qui dévale à toute vitesse. Le gardien de la paix se lance à sa poursuite et finit par le rattraper. L'individu sort alors une serpette de jardinier, l'arme décrite par toutes les victimes comme celle du violeur. Philippe Savelli tient son homme. Il en est certain. Mais le suspect réussi à s'échapper de nouveau, dans les dédales du quartier. Manqué. Une fois de plus.

Toujours seul. Philippe Savelli a au moins le visage de son suspect principal et peut dresser un portrait-robot précis. Ce sont deux fonctionnaires de la police municipale qui vont l'aider à résoudre l'enquête. Grâce à la description de l'individu qui circule, un cantonnier dit avoir reconnu l'homme que Philippe Savelli cherche par-dessus tout. Ce serait notamment un client d'une salle de sport. Le gardien de la paix se rend sur les lieux, il arrive à consulter le fichier des clients et leurs photos. Au détour de deux inconnus, c'est le flash. Devant lui, la photo du suspect et un nom : Daniel Boeningen.

Première douche froide pour Philippe Savelli lorsqu'il annonce la nouvelle à son commissaire : il doit remettre la fiche à ses collègues de la P.J., les mêmes qui lui mettent des bâtons dans les roues depuis le début. Ce sont eux qui procéderont à l'arrestation. Les officiers décident qu'avant d'intervenir, ils présenteront la photo du suspect aux victimes. Aucune ne reconnaît son agresseur. Philippe Savelli s'en doutait : la photo n'est pas de très bonne qualité et l'homme ne porte pas la même perruque et les mêmes lunettes que lors de ses crimes. Alors que faire ? Et bien se charger de l'arrestation. Seul, une fois de plus. Avec un collègue, il part sur le lieu de travail de Daniel Boeningen et procède à son interpellation.

Pendant l'interrogatoire du suspect, quelques vérifications sont effectuées : Daniel Boeningen a bien une cicatrice le long de la jambe droite, comme l'auteur des faits. Chez lui, on trouve aussi une perruque brune, identique à celle du suspect. Malgré ces points communs, Daniel Boeningen nie en bloc. Alors les policiers effectuent un tapissage : ils le placent le long d'un mur, aux côtés de policiers et font venir toutes les victimes. Toutes désignent Daniel Boeningen comme leur agresseur. Acculé par le poids des preuves, il finit par tout avouer.

En octobre 1990, Daniel Boeningen sera condamné à 18 ans de réclusion criminelle. À la faveur d'une remise de peine, il sort en 2001. Il récidivera trois ans plus tard, sur de jeunes garçons et une fille. De nouveau arrêté, il est condamné cette fois-ci à 20 ans de prison en 2008.

"J’étais un gardien de la paix qui a fait un travail qu’il n’aurait pas dû faire". Et qu'est devenu Philippe Savelli, le gardien de la paix qui a résolu l'affaire sur laquelle la P.J. de Grenoble se cassait les dents ? Il a fini sa carrière comme gardien de la paix, "condamné" à rester dans son rang pour avoir eu raison contre sa hiérarchie. "J’étais un gardien de la paix qui a fait un travail qu’il n’aurait pas dû faire, et qui a mis en lumière les carences de tout un service d’officiers de P.J. (...) À la retraite, je me suis dit que cette histoire ne pouvait pas rester aux oubliettes", indique-t-il. Encore frustré aujourd'hui, il confie n'avoir pas eu la carrière qu'il souhaitait après cette affaire.