La Réunion : une crise qui dépasse le mouvement des "gilets jaunes"

La Réunion est en proie à des violences urbaines depuis le début du mouvement des "gilets jaunes", samedi.
La Réunion est en proie à des violences urbaines depuis le début du mouvement des "gilets jaunes", samedi. © AFP
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avec AFP , modifié à
Depuis le début de la mobilisation, samedi, le département d'outre-mer est touché par une flambée de violences. Le couvre-feu mis en place n'a pour l'instant pas permis d'apaiser la situation.
ON DÉCRYPTE

Le bilan contraste avec celui de la métropole. Alors que le mouvements des "gilets jaunes" semble s'essouffler dans l'Hexagone - environ 7.000 personnes mobilisées mercredi selon le ministère de l'Intérieur -, la flambée de violences se poursuit à La Réunion, où trente membres des forces de l'ordre ont été blessés dans la nuit de mardi à mercredi. L'un d'entre eux a eu la main arrachée par une grenade. En différentes communes de l'île, des incendies ont aussi ravagé des magasins et des véhicules, pour la quatrième soirée consécutive. Europe 1 fait le point.

Que se passe-t-il à La Réunion ?

"Le scénario est désormais bien rodé", résume le quotidien local le Journal de l'Île dans son édition de mercredi. "En journée, les forces de l'ordre, en état d'alerte, s'épuisent sur les barrages pour faire face aux attaques de commerces. (...) Certains automobilistes perdent patience, pris au piège d'interminables blocus. (...) Et quand les véhicules se font plus rares en fin de journée et que les "gilets jaunes" commencent à plier bagage, les casseurs montent en puissance. Faute de proies aux péages forcés, les encagoulés s'attaquent aux commerces à la recherche de butins, quand ils ne se livrent à des exactions gratuites."

Au sein du département d'outre-mer, la crise est partie du mouvement qui, comme partout en France, a protesté samedi contre la hausse des prix des carburants et la baisse du pouvoir d'achat. Mais cette grogne, pacifique au départ, a rapidement dégénéré lorsque des bandes de jeunes ont organisé des blocages sur plusieurs grands axes et réclamé aux automobilistes un droit de passage allant de 5 à 20 euros. Mardi après-midi, 37 barrages routiers étaient actifs sur les routes de l'île. Pour avoir refusé de payer, plusieurs automobilistes ont été agressés et dépouillés, leurs voitures caillassées.

"L'évolution du mouvement est intolérable", a dénoncé mardi soir la ministre des Outre-mer Annick Girardin, en évoquant des violences commises par "des jeunes gens qui n'ont rien à voir avec les gilets jaunes". Mardi, la préfecture a annoncé la mise en place d'un couvre-feu inédit - interdiction de circuler de 21 heures à 6 heures du matin -, dans 14 des 24 communes de l'île, jusqu'à vendredi. Tous les établissements scolaires, des crèches à l'université, ainsi que les administrations restent fermés depuis plusieurs jours. La quasi-totalité des événements culturels et sportifs ont été annulés, tandis que trois pelotons et deux escadrons de gendarmerie mobile supplémentaires sont attendus sur place mercredi, selon Le Journal de l'Île.

En quoi le mouvement diffère-t-il de celui de la métropole ?

"La situation est plus dégradée à la Réunion qu'en métropole parce que le taux de chômage y est bien plus important - autour de 30% - et le taux de pauvreté est de l'ordre de 42%", a expliqué au Figaro Nadia Ramassamy, députée sans étiquette du département. "Les Réunionnais qui ont voté pour Emmanuel Macron pensaient qu'il prendrait des mesures de bon sens. Et finalement, ils ont subi une succession de mauvaises décisions qui aggravent les choses." L'élue évoque "ce qui pénalise déjà tous les Français", comme la taxe sur les carburants ou la baisse des contrats aidés, mais aussi la remise en cause de "certaines compensations" propres aux outre-mer, à l'instar de l'abattement fiscal de 30% sur l'impôt sur le revenu ou la faible taxation du rhum.

La Réunion n'avait plus connu une telle tension depuis 1991 et les émeutes consécutives à la saisie par l'État de l'émetteur pirate de Télé Free Dom. Le précédent fait naître la crainte d'une escalade des violences : huit personnes avaient à l'époque trouvé la mort dans l'incendie d'un magasin de meubles en cours de pillage, et une jeune automobiliste s'était tuée après avoir perdu le contrôle de sa voiture à la suite d'un caillassage.

Quelles pistes pour sortir de la crise ?

Les renforts militaires et le couvre-feu s'accompagnent d'une fermeté judiciaire envers les "casseurs" qui se mêlent aux "gilets jaunes" : l'un d'entre eux a été condamné à deux ans de prison ferme, mardi, tandis que deux incendiaires ont écopé de peines de cinq mois de détention. "Le couvre-feu est une bonne mesure pour contrer les casseurs, les gens ont peur de sortir, les commerçants d'être pillés", estime Nadia Ramassamy. "Ces manifestations peuvent faire comprendre au gouvernement et à la ministre des Outre-mer que notre île a des spécificités qu'il faut prendre en compte." 

Sur le fond, un gel des taxes sur le carburant jusqu'en 2021 pour le département a été annoncé mercredi. Cela suffira-t-il à calmer une contestation qui semble dépasser celle des "gilets jaunes" ? Non, selon une quarantaine d'élus de l'île, qui ont remis au préfet une liste de dix propositions pour sortir de la crise. Parmi celles-ci figurent "une exclusion de La Réunion des mesures prévues par les projets de Loi impactant les revenus les plus faibles (...)", la mise en place d'un fonds spécial de l'Etat pour "financer les mesures d'accompagnement social des familles en difficulté (...) et la garantie des retraites agricoles à 75% du Smic.