LA QUESTION SEXO - Après trois ans de relation, est-ce normal de vivre chacun chez soi ?

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Catherine Blanc
Lundi dans "Sans Rendez-vous", la sexologue et psychanalyste Catherine Blanc répond à une question qui se pose au sein d'un nombre de plus en plus élevé de couples : faut-il absolument habiter ensemble ou doit-on conserver un domicile différent pour mieux respirer ? La spécialiste en profite également pour questionner notre rapport à l'engagement.

Et si l'avenir du couple passait non plus par un seul et même domicile, mais par une certaine indépendance dans la vie à deux, qui n'en serait plus vraiment une au quotidien ? C'est la question soulevée par Céline, dont la meilleure amie ne vit toujours pas dans le même logement que son conjoint, après trois ans de relation. La sexologue et psychanalyste Catherine Blanc lui répond dans l'émission "Sans Rendez-vous", lundi après-midi sur Europe 1. La spécialiste se penche également sur l'importance du quotidien dans la construction d'un couple.

La question de Céline

"Ma meilleure amie est en couple depuis trois ans, mais vit toujours seule chez elle. J'ai du mal à concevoir une vie de couple en vivant séparés. Qu'en pensez-vous ? Est-ce de plus en plus fréquent ?"

La réponse de Catherine Blanc

"Je crois qu'il ne faut pas faire d'une grande ville l'exemple national. Chaque couple a à écrire son histoire. C'est vrai qu'on n'est plus dans une urgence de se mettre ensemble pour faire des bébés et faire un foyer. C'est davantage une histoire individuelle. On fait des études longues pour faire un travail et on développe plus l'individualité, ce qui ne va pas trop dans le sens de la construction et du partage."

Est-ce bizarre de pas vouloir dormir tous les soirs avec son conjoint ou sa conjointe ?

"Pourquoi faudrait-il absolument dormir avec son conjoint ou sa conjointe ? On peut se dire que c'est curieux de ne pas avoir envie de cette tendresse, de ce partage. Ceci étant, pourquoi ne peut-on pas faire autrement ? On peut reconnaître aux gens le droit d'inventer de nouvelles situations, mais je crains qu'en effet, ce soit aussi l'expression d'une difficulté d'engagement, le besoin de se sentir libre de possibilités ailleurs. Quand je dis ailleurs, je ne parle pas que de possibilités sexuelles ou amoureuses, je parle aussi de possibilités amicales et professionnelles, comme si le couple, qui plus est la famille et plus tard les enfants, était un empêchement au développement de l'individualité. C'est un peu le défaut de notre monde d'aujourd'hui."

N'est-ce pas un comportement égoïste sans les moments moins sympathiques qui font partie de la vie ?

"Absolument. Ce n'est pas que la vie à deux, c'est la vie tout court. Je crois qu'on est dans une société où le marketing de tout nous vend le bonheur et la jouissance partout. Et s'il n'y a pas bonheur et jouissance, il faut changer de produit. La vie, ça n'est pas ça. La vie, ce sont des bouleversements. On vient de vivre une année 2020 qui était compliquée. L'année 2021 risque de connaître aussi des complications comme toutes les autres. Nous vieillissons, nous rencontrons dans notre vie des accidents de parcours… Eh bien, c'est ça la vérité de la vie et de la vie à deux.

Ce qui est beau de mesurer au moment de ces accidents ou de ces difficultés de relations, y compris ces fameuses chaussettes à ramasser, c'est que l'on est aussi à deux. On est plus fort et compétent à faire avec la frustration, sentir qu'on est compétent à faire avec la frustration. Cela augure d'un plaisir accru. Parce que si le plaisir ne doit être qu'une sorte de tyrannie, de revendications faites à l'autre ou faites à la société, ça raconte une difficulté à faire avec soi-même parce que la vie nous bousculera. Ce sera l'hiver, ce n'est pas toujours l'été. Ce sera plein d'inconvénients, des douleurs qui apparaîtront ici et là qu'il nous faudra combattre. Le monde ne s'arrête pas pour autant et notre compétence s'évalue justement à cette capacité à accueillir aussi ces désagréments."

Au bout de trois ans, est-ce un désir de solitude ?

"Il est important de savoir faire avec soi-même et de ne pas toujours être nourri de l'autre. Si on n'est que par l'autre, évidemment, on est dans une idée de creux et de vide de soi. Ceci étant, il ne faut pas aller à l'inverse, ne pas savoir faire avec les autres. C'est vrai qu'on est beaucoup au mètre carré, donc on se piétine un peu et nos propres désirs sont obligés d'être relégués de temps en temps au bénéfice de la communauté ou du couple. Ceci étant, il faut arriver à trouver un juste milieu parce que sinon on est dans un monde d'égoïsme et dans une défiance permanente concernant l'autre."

Ils peuvent tenir comme ça à 25 ans, mais ils ne vont jamais se connaître, si ?

"Je crois qu'on risque de se faire avoir par le temps parce qu'on va avoir le sentiment que 'l'autre a son petit espace', que 'j'ai mon petit espace'. On érotise nos rencontres puisqu'on ne se rencontre que dans ces possibilités-là, chacun essentiellement sur son 31. Sauf que le temps va galoper et on aura oublié de faire des choses comme, peut-être, partager une vie toute simple, faire des bébés, construire une famille, apprendre aussi la tranquillité du vieillissement sans être tous les jours sur son 31. Et tout ceci dans le paix et la douceur de la relation."