Homosexualité et psychiatrie : "Les propos du pape François ne sont pas étonnants"

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Philippe Portier, directeur du Groupe sociétés, religions, laïcités au CNRS, estime que la sortie du pape François sur les enfants homosexuels doit être analysée à l'aune de ses écrits plutôt que de ses prises de parole.
INTERVIEW

Alors qu'il se montrait jusqu'alors plutôt moderne dans ses prises de parole sur l'homosexualité, le pape François a pris un virage brutal. Dans la nuit de dimanche à lundi, interrogé par un journaliste dans son avion, le souverain pontife a estimé que "quand [l'homosexualité] se manifeste dès l'enfance, il y a beaucoup de choses à faire par la psychiatrie". Une phrase qui a choqué les associations de défense des droits LGBT et écorné l'image de pape "moderne" de François. Pourtant, ces propos ne sont pas une surprise pour Philippe Portier, directeur du Groupe sociétés, religions, laïcités au CNRS. Selon ce spécialiste, le pape François ne fait que répéter, avec des mots simples, la vision de la société qu'il couche dans les textes officiels.

La phrase du pape François sur la psychiatrie crée la polémique. Est-ce une surprise de le voir s'exprimer ainsi ?

Philippe Portier : Ces propos ne sont pas vraiment étonnants. Le grand public a une vision un peu biaisée du pape François depuis son élection en 2013. On oppose Benoît XVI, qui serait le pape de la restauration, à François, qui serait le pape de la modernité. La réalité n'est pas aussi simple. Il y a toujours deux niveaux de lecture pour les papes : le doctrinal, qui correspond à leur vision de l'Église et de ses préceptes ; et le pastoral, qui a trait à la place de l'Église dans la société et à sa capacité à transmettre l'évangile, y compris aux non-croyants, écrit dans des textes officiels. Faute d'avoir compris la différence entre ces deux niveaux d'expression, particulièrement en France, on a mal perçu le pape François.

Pourquoi a-t-on tendance à voir en François un pape moderne, voire progressiste ?

Les papes ont deux façons d'exprimer leur vision de la société. Jean-Paul II et Benoît XVI adoptaient souvent un ton injonctif et rappelaient avec force la morale chrétienne. François a une stratégie plus progressiste, il s'adresse à chacun en fonction de son niveau moral. Concrètement, c'est son discours qui consistent à accueillir tout le monde au sein de l'Église, y compris ceux qui présentent des défaillances par rapport à la morale catholique. Sur le sujet de l'homosexualité, cela s'est traduit par sa phrase prononcée en 2013 : 'Si une personne est gay et qu'elle cherche le Seigneur avec bonne volonté, qui suis-je pour la juger ?'.

Le pape François est en réalité dans la continuité de ses prédécesseurs. Il condamne le relativisme et le subjectivisme

François considère que l'Église a vocation à faire revenir, avec souplesse, les personnes qui ne sont pas dans le 'droit chemin'. C'est une pastorale de l'écoute, chacun doit être considéré en fonction de son niveau moral. En ce sens, l'homosexualité n'est pas forcément un pêché, elle peut aussi, selon le pape, relever d'un manque d'information ou d'un environnement 'néfaste'. Idem pour l'avortement : si une femme avorte, il faut envisager le fait qu'elle ne pouvait, dans certains cas, pas élever dignement l'enfant.

Vous sous-entendez pourtant que le pape François n'est finalement pas aussi progressiste qu'on pourrait le penser…

Quand on étudie sa vision doctrinale, ses textes (encycliques, lettres apostoliques…), le pape François est en réalité dans la continuité de ses prédécesseurs. Il condamne le relativisme et le subjectivisme, deux théories qui mettent en avant le rôle de l'individu dans son propre destin. Pour lui, chacun est subordonné à un ordre imposé, qui nous dépasse tous, et doit se soumettre à des préceptes moraux extérieurs, en l’occurrence ceux que dicte l'Église. François estime, à ce titre, que l'homosexualité est un désordre objectif, une tendance qui va à rebours de l'ordre moral. Une perception qui ressort dans sa référence au recours à la psychiatrie : la médecine permettrait de corriger ce désordre.

Comment expliquer ce double discours ?

Ce n'en est pas réellement un. Ces petits mots, lâchés régulièrement par le pape (les fioretti, que François a emprunté à son modèle, Saint François d'Assise), sont un outil de communication. Ils traduisent avec des mots simples des principes moraux formulés dans des textes de façon plus formelle. Parfois cela va à l'encontre des traditionalistes (le 'Qui suis-je pour les juger ?' par exemple), parfois cela va dans leur sens, comme c'est le cas avec sa dernière sortie dans l'avion. Mais les deux ne sont pas contradictoires, ce sont simplement deux facettes de la vision qu'a François de la société. In fine, on ne peut pas comprendre ce pontificat sans distinguer le pastoral et le doctrinal.

Le Vatican corrige la déclaration du pape. Le Vatican a retiré lundi la référence à la "psychiatrie" dans la déclaration faite la veille par le pape François, interrogé sur l'homosexualité. Le mot "psychiatrie" a été retiré du verbatim par le service de presse du Vatican, "pour ne pas altérer la pensée du pape", a expliqué une porte-parole du Vatican. "Quand le pape se réfère à la 'psychiatrie', il est clair qu'il le fait comme un exemple qui rentre dans les différentes choses qui peuvent être faites", a-t-on expliqué de même source.