Financement libyen de la campagne de Sarkozy : les temps forts du dossier

Les révélations sur l'affaire du financement libyen de la campagne de Nicolas Sarkozy de 2007 se sont succédés, jusqu’à la garde à vue,n mardi, de l’ancien président de la République.
Les révélations sur l'affaire du financement libyen de la campagne de Nicolas Sarkozy de 2007 se sont succédés, jusqu’à la garde à vue,n mardi, de l’ancien président de la République.
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L’ancien chef de l’Etat a été mis en examen mercredi. Les enquêteurs le soupçonnent d’avoir profité de fonds libyens pour financer sa campagne présidentielle - victorieuse - de 2007.

Nicolas Sarkozy a-t-il bénéficié de fonds libyens pour financer, de manière illégale, sa campagne présidentielle de 2007 ? L'ancien chef de l'État, soupçonné dans l'affaire du financement de sa campagne de 2007, a été mis examen mercredi. C’est en mars 2011 que, pour la première fois, cette hypothèse a été évoquée, par le fils de l’ancien dictateur libyen, Mouammar Kadhafi. Depuis, l’affaire n’a cessé de prendre de l’ampleur, au point de devenir tentaculaire. Retour sur les temps forts d’un dossier qui est encore loin d’avoir livré tous ses secrets.

16 mars 2011 : un fils Kadhafi lance les premières accusations

La première mèche est allumée par Saïf al-Islam Kadhafi, le deuxième des neuf enfants du dictateur libyen. C’était le 16 mars 2011, dans une interview accordée à Euronews. A l’époque, la Libye est le théâtre d’une guerre civile sanglante, qui a démarré en février de la même année. Dix jours plus tôt, le 10 mars, Nicolas Sarkozy a reçu à l’Elysée deux représentants du Conseil national de transition (CNT), reconnaissant de fait la légitimité de cette autorité politique coordonnant la rébellion au colonel Kadhafi.

Interrogé à ce sujet, Saïf al-Islam Kadhafi balance : "Tout d’abord, il faut que Sarkozy rende l’argent qu’il a accepté de la Libye pour financer sa campagne électorale. C’est nous qui avons financé sa campagne, et nous en avons la preuve", affirme le fils du dictateur libyen. Nous sommes prêts à tout révéler. La première chose que l’on demande à ce clown, c’est de rendre l’argent au peuple libyen. Nous lui avons accordé une aide afin qu’il oeuvre pour le peuple libyen, mais il nous a déçus. Rendez-nous notre argent. Nous avons tous les détails, les comptes bancaires, les documents, et les opérations de transfert. Nous révélerons tout prochainement."

Mais le 19 mars 2011, l’intervention militaire en Libye, menée par une coalition internationale dirigée par la France, est déclenchée. Sans qu’aucune des preuves évoquée par  Saïf al-Islam Kadhafi n’ait été divulguée. Le 20 octobre, après sept mois de conflit, acculé par la rébellion puis arrêté, Mouammar Kadhafi est tué en Libye, dans des circonstances troubles.

12 mars 2012 : Mediapart publie ses premières révélations

L’affaire prend une tournure plus concrète en mars 2012 quand Mediapart, qui ne cessera d’être en pointe dans ce dossier, publie un premier document évoquant ouvertement un financement libyen de la campagne présidentielle de Nicolas Sarkozy de 2007. Le site d’informations cite notamment une note signée par Jean-Charles Bisard, président d’une société privée de renseignements, et selon laquelle le principe d’un financement de la campagne, pour un montant total de 50 millions d’euros, aurait été acté le 6 octobre 2005 lors de la visite de Nicolas Sarkozy, alors ministre de l’Intérieur, en Libye.

L’ancien chef de l’Etat avait alors été reçu par le dictateur libyen dans sa tente à Tripoli. Claude Guéant et Brice Hortefeux, deux proches de Nicolas Sarkozy et acteurs du dossier, avaient été du voyage. Le premier est déjà mis en examen dans cette affaire, le second, eurodéputé, est lui aussi entendu mardi par les enquêteurs en "audition libre".

28 avril 2012 : révélations de Mediapart, acte 2

Le site d’informations publie une nouvelle note un peu plus d’un mois plus tard, en arabe cette fois. Datée du 10 décembre 2006, elle est signée de la main de Moussa Koussa, alors chef des services des renseignements extérieurs de la Libye. Il y évoque la décision du régime de Mouammar Kadhafi de débloquer 50 millions d’euros pour financer la campagne de Nicolas Sarkozy, et évoque les rôles de Bachir Saleh, alors directeur de cabinet du dictateur libyen, de Brice Hortefeux et de Ziad Takieddine, intermédiaire franco-libanais spécialisé dans la vente d’armes et acteur majeur du dossier.

Longtemps, un doute subsiste sur l’authenticité de cette note. Entendu en août 2014 par la justice française, Moussa Koussa assure que le document n’est pas signé de sa main, tout en confirmant la véracité de son contenu, selon Mediapart. Toutefois, le 6 novembre 2014, un cortège de trois experts, unanimes, confirme la validité de la signature.

A noter que Nicolas Sarkozy a porté plainte pour diffamation à l’encontre de Mediapart le 30 avril 2012. La justice a conclu à un non-lieu le 30 mai 2016, non-lieu confirmé en appel le 23 novembre 2017. L’ancien chef de l’Etat s’est pourvu en cassation.

29 avril 2012 : un ancien ministre libyen retrouvé mort à Vienne

Choukri Ghanem a été chef du gouvernement entre 2003 et 2006 et ministre du Pétrole entre 2006 et 2011 en Libye. A ce titre, il possède des informations cruciales sur l’affaire. Mais celui qui a fait défection au régime Kadhafi en 2011 ne pourra jamais rien en dire à la justice. Le 29 avril 2012, l’homme a en effet été retrouvé mort, noyé dans le Danube à Vienne. Après avoir envisagé un assassinat, la police autrichienne conclut à un décès par noyade consécutive à une crise cardiaque, mais sa mort reste hautement suspecte pour beaucoup.

Cela dit, Choukri Ghanem continue à délivrer de précieuses informations via ses carnets, aux mains de la justice française. Dans ce document, l’homme fait état de plusieurs versements au profit de la campagne de Nicolas Sarkozy, pour un total de 6,5 millions d’euros.

19 avril 2013 : ouverture d’une information judiciaire

C’est en enquêtant sur une autre affaire, celle dite de Karachi, que la justice finit par ouvrir une enquête officielle sur l’affaire du financement libyen de la campagne de Nicolas Sarkozy. Et le déclencheur s’appelle Ziad Takieddine. Arrêté en mars 2011 à l’aéroport du Bourget avec 1,5 million d’euros en liquide en provenance de Libye, le sulfureux homme d’affaires assure lors d’une déposition en décembre 2012 qu’il est en mesure de prouver que le camp Sarkozy a bel et bien reçu de l’argent de la part du dictateur libyen. Des accusations qu’il réitère en janvier 2013 à la télévision,   dans On n’est pas couché, sur France 2 (et qu’il répètera en novembre 2016 à Mediapart).

Après des perquisitions menées par la Division nationale des investigations financières et fiscale du parquet de paris dans la villa française de Bachir Saleh, dans l’Ain, mais aussi aux domiciles parisiens de Claude Guéant et de Ziad Takieddine, la justice ouvre finalement le 19 avril une information judiciaire contre X. Les chefs d’accusation : " corruption active et passive", "trafic d’influence, faux et usage de faux", " abus de bien sociaux", "blanchiment, complicité et recel de ces délits". L’enquête est confiée aux juges d’instruction Serge Tournaire et René Grouman.

6 mars 2015 : Claude Guéant mis en examen

L’ancien bras droit de Nicolas Sarkozy Claude Guéant est mis en examen le 6 mars 2015 dans le cadre de l’enquête pour faux et usage de faux et pour blanchiment de fraude fiscale en bande organisée. Les enquêteurs n’ont pas été convaincus par les explications de l’ancien ministre de l’Intérieur sur la provenance de 500.000 euros versés sur son compte en mars 2008 en provenance d’un compte à l’étranger. Claude Guéant avait affirmé que cette somme provenait de la vente de deux tableaux de peintres flamands, mais l’enquête a démontré que les œuvres valaient en réalité beaucoup moins que cela. En outre, l’ex-ministre avait omis de réclamer un certificat - obligatoire - du ministère de la Culture pour procéder à cette vente.

Les enquêteurs s’intéressent par ailleurs à un coffre-fort, de très grande taille, qu’a loué Claude Guéant entre le 21 mars et le 31 juillet 2007, soit un peu avant et un peu après la campagne présidentielle, à l’agence BNP Opéra, à Paris. L’ancien ministre de l’Intérieur s’y est rendu à plusieurs reprises entre ces deux dates pour, assure-t-il, y entreposer des discours de Nicolas Sarkozy. Une explication qui ne convainc pas les enquêteurs.

7 janvier 2018 : Alexandre Djouhri arrêté à Londres

C’est le dernier rebondissement de cette tentaculaire affaire. Le 7 janvier, Alexandre Djouhri, intermédiaire franco-algérien, est arrêté à Londres. La justice le soupçonne d’avoir joué un  rôle majeur dans cette affaire. Il a été interpellé avec plusieurs clés USB en sa possession. Incarcéré à Londres, il aurait fait plusieurs malaises cardiaques et serait aujourd’hui très affaibli. La justice britannique doit décider le 17 avril prochain de son extradition vers la France, qui avait émis un mandat d’arrêt à son encontre.

Alexandre Djouhri est soupçonné d’avoir servi d’intermédiaire aux versements entre la Libye et l’équipe de campagne de Nicolas Sarkozy, notamment via la vente d’une propriété de Mougins pour la somme de 10 millions d’euros à un fonds souverain libyen, alors qu’elle était évaluée à 4,4 millions d’euros. Sa villa suisse a par ailleurs été perquisitionnée en mars 2015.

Par ailleurs, Alexandre Djouhri a participé à plusieurs exfiltrations de Béchir Saleh, homme-clé du dossier en sa qualité d’ancien chef de cabinet de Mouammar Kadhafi. Une première fois en 2011, via son jet privé, de la Tunisie vers la France, avec, selon Le Canard enchaîné, l’aide de Boris Boillon, ambassadeur de France à Tunis, nommé par Nicolas Sarkozy. Une seconde fois de la France vers le Niger, en mai 2012. Après des passages dans plusieurs pays d’Afrique, Béchir Saleh a trouvé refuge en Afrique du Sud. Où il a été, le 26 février dernier, blessé par balles. Selon Le Point, il se trouverait à présent aux Emirats arabes Unis. D’où il sera difficile, pour les enquêteurs français, de l’entendre.

21 mars 2018 : Nicolas Sarkozy mis en examen

L'affaire a connu une spectaculaire accélération avec le placement en garde à vue de Nicolas Sarkozy. Après deux jours d'audition, l'ancien chef de l'État a été mis en examen le 21 mars 2018 pour "corruption passive", "financement illégal de campagne électorale" et "recel de fonds publics libyens" et placé sous contrôle judiciaire. Nicolas Sarkozy, entendu par les policiers de l’OCLCIFF (Office central de lutte contre la corruption et les infractions financières), a nié les faits qui lui sont reprochés. 

Les enquêteurs l’ont notamment confronté aux accusations de Ziad Takieddine, intermédiaire présumé des transactions, confortées par les déclarations d’ex-dignitaires libyens. Ziad Takieddine affirme avoir remis 5 millions d’euros d’argent libyen au camp Sarkozy, quelques mois avant son accession à l’Elysée.