"Gilets jaunes" : 27.000 manifestants lundi, les routiers refusent d'être associés au mouvement

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Anaïs Huet et Margaux Lannuzel, avec les correspondants d'Europe 1 sur place et le service police-justice , modifié à
Après un week-end où la France s'est vue tachetée de jaune, couleur des gilets de sécurité et du ras-le-bol fiscal, les manifestants n'ont rien obtenu du gouvernement. Certains sont déterminés à poursuivre la lutte. 

290.000 "gilets jaunes" samedi, 46.000 dimanche. Et lundi, alors que les Français reprenaient le chemin du travail, 27.000 manifestants se sont décidés à poursuivre le mouvement. Pourtant, le Premier ministre Edouard Philippe a prévenu dimanche soir que le gouvernement entendait "maintenir le cap", bien qu'il ait assuré "entendre la colère" qui gronde. 

Les principales informations à retenir

  • Après un week-end de mobilisation, 27.000 "gilets jaunes" poursuivaient les blocages lundi
  • Les transporteurs routiers ont indiqué leur volonté de ne pas être associés au mouvement
  • Deux manifestants ont été condamnés, respectivement pour "mise en danger de la vie d'autrui" et "rébellion" 

Quelle était la situation lundi ?

Quelque 27.000 personnes étaient rassemblées lundi sur 358 sites, selon le ministère de l'Intérieur, loin des 290.000 manifestants comptabilisés samedi. Plusieurs dépôts pétroliers ont notamment été ciblés, comme à Port-la-Nouvelle (Aude), Fos-sur-Mer (Bouches-du-Rhône), Frontignan (Hérault), Portes-lès-Valence (Drôme) et Valenciennes (Nord). Voici une liste non-exhaustive des zones où des difficultés nous ont été signalées. 

  • Dans le Sud-Ouest

Des dizaines de "gilets jaunes" ont joué lundi au chat et à la souris avec les forces de l'ordre à Bordeaux, se laissant déloger dans le calme par un important dispositif de sécurité pour mieux se réinstaller quelques heures plus tard, comme à l'entrée du Pont d'Aquitaine. Au péage de Virsac, dont ils avaient été évacués plus tôt, les "gilets jaunes" sont revenus aux alentours de 15 heures.

A Lespinasse, près de Toulouse, un dépôt de carburant était totalement bloqué par une quarantaine de manifestants à la mi-journée, aucun camion ne pouvant en entrer ou en sortir, selon notre correspondant sur place. 

  • Dans le Sud et le Sud-Est

Sur l'autoroute A7, où les blocages ont continué une partie de la nuit de dimanche à lundi, plusieurs barrages ont perturbé la circulation à Orange, Avignon ou encore Bollène lundi. Dans le Rhône, sur l'A6, le péage de Lima, à hauteur de Villefranche-sur-Saône, a été perturbé une bonne partie de la journée en direction de Paris. "Vous avez raison", "bon courage", "on est tous dans le même bateau" : les automobilistes y soutenaient à de rares exceptions les "gilets jaunes" qui faisaient barrage, et leur offraient volontiers des victuailles. 

En Corse, le blocage du dépôt de Lucciana a entraîné une ruée des automobilistes dans les stations-services de la région bastiaise, qu'il approvisionne. En région Paca, quelque 680 tonnes de clémentines corses n'avaient pas pu être livrées et la récolte s'en trouvait suspendue "jusqu'à nouvel ordre" sur l'île de Beauté.

  • Dans le Nord et le Nord-Est

Dans le Territoire de Belfort, le péage de Fontaine sur l'A36 était bloqué dans les deux sens, lundi à la mi-journée. A Calais, l'autoroute A16 était fermée en direction de la Belgique. 

  • Dans le Nord-Ouest

Sur l'A13, à l'ouest de Paris, une opération péage gratuit était en cours lundi après-midi. A Rennes, les "gilets jaunes" bloquaient des poids lourds porte de Beaulieu, rendant la circulation compliquée. Plusieurs dizaines de "gilets jaunes" filtraient aussi dans les deux sens la route Rennes-Angers menant notamment au dépôt de carburant de Vern-sur-Seiche, en Ille-et-Vilaine, ce qui a provoqué un embouteillage de quelque 200 poids lourds à la mi-journée. 

En Normandie, des barrages filtrants ont été mis en place au niveau du pont de Tancarville, lundi matin. Du côté de Caen, le périphérique restait fermé dans les deux sens et des dizaines de camions étaient toujours bloqués vers 18h. Des forces de l'ordre ont par ailleurs eu recours, après sommation, à des gaz lacrymogènes pour déloger près de 150 "gilets jaunes" qui bloquaient 200 poids-lourds, à Lisieux, dans le Calvados.

  • En Outre-mer

Après un week-end de mobilisation, le mouvement se poursuivait aussi dans une ambiance tendue à La Réunion lundi. Une trentaine de barrages restaient en place à la mi-journée, avec notamment des jets de pierres, des feux de poubelles, de pneus ou de palettes. La plupart des écoles et universités de l'île ont été fermées. La ministre des Outre-mer Annick Girardin a lancé un appel au calme, lundi matin. 

Où trouver des infos sur les blocages des "gilets jaunes" autour de chez vous ?

Les suites judiciaires à cette mobilisation

Des blessés. Les manifestations ont fait à ce jour un mort et 528 blessés, dont 17 grièvement, selon un bilan actualisé du ministère de l'Intérieur. Dans la nuit de dimanche à lundi, une vingtaine de personnes - des manifestants et des conducteurs forçant des barrages - ont été interpellées par la police.  

Un automobiliste qui a foncé sur un barrage tenu par des "gilets jaunes" samedi à Firminy, dans la Loire, blessant plusieurs personnes, devait être déféré lundi devant le parquet de Saint-Étienne. L'un des blessés s'est vu prescrire une interruption totale de travail (ITT) de 45 jours et un autre une ITT de 7 jours. A Calais, un routier a tenté de forcer le passage d'un barrage, avant d'être pris en chasse par un motard de la police, qui a ensuite heurté une voiture. Le policier blessé a été transporté à l'hôpital. Dans la Drôme, un motard qui avait pris la route à contresens avant de rencontrer un camion, était entre la vie et la mort.

Plusieurs "gilets jaunes" interpellés. Un "gilet jaune" a été arrêté et placé en garde à vue après avoir frappé lundi après-midi un lieutenant de gendarmerie à Viry-Noureuil, dans l'Aisne. Vers 16h, ce lieutenant, qui était en service et occupé à un travail de sécurisation de la zone, "est descendu de son véhicule pour retirer une barrière et pouvoir passer", à proximité d'un rond point tenu par des "gilets jaunes", ont expliqué des gendarmes. "Il a été pris à partie par un 'gilet jaune' qui lui a mis un coup de poing au visage. Le lieutenant a été hospitalisé pour des examens".

Un conducteur a par ailleurs été mis en examen lundi pour "violences avec armes ayant entraîné une ITT de plus de huit jours" après avoir blessé un "gilet jaune" samedi à Arras. Samedi matin, ce jeune conducteur "a avancé et a paniqué car il avait un problème personnel qui justifiait qu'il se déplace", a expliqué le parquet d'Arras. La personne blessée souffre d'une double fracture ouverte du tibia. Le parquet de Chambéry a également indiqué dimanche que la conductrice qui a écrasé samedi matin une "gilet jaune" au Pont-de-Beauvoisin en Savoie a été mise en examen et placée sous contrôle judiciaire.

Deux premières condamnations. Un "gilet jaune" a été condamné lundi par le tribunal correctionnel de Strasbourg à quatre mois de prison ferme pour mise en danger de la vie d'autrui et entrave à la circulation. Ce soudeur de 32 ans était poursuivi pour avoir formé samedi une chaîne humaine sur l'autoroute A35 à Strasbourg et traversé le terre-plein central avec quatre autres "gilets jaunes". 

Un autre manifestant a été condamné à quatre mois d'emprisonnement avec sursis pour "rébellion", "outrage" et "menaces" envers deux gendarmes, après avoir participé samedi à une action à Loudéac, dans les Côtes-d'Armor. Le suspect a également écopé d'une obligation d'accomplir 40 heures de travaux d'intérêt général. Deux gendarmes de la brigade motorisée avaient été blessés samedi lors de l'interpellation de ce "gilet jaune". 

Le mouvement peut-il s'élargir ?

Les routiers ne s'associent pas au mouvement. Si les "gilets jaunes" ont pu recevoir le soutien des routiers dans certaines régions, le gouvernement estime que ce secteur ne rejoindra pas la mobilisation. "Il ne faut pas faire d'amalgame, et je peux vous assurer qu'on a rediscuté ce matin avec toutes les organisations de transport routier, elles ne souhaitent pas rentrer dans ce mouvement", a balayé la ministre des Transports Elisabeth Borne, lundi.

"Les organisations professionnelles entendent rappeler que les entreprises de transport ont pris leurs responsabilités en ne se joignant pas au mouvement" des "gilets jaunes", a indiqué dans un communiqué la Fédération nationale des transports routiers (FNTR), première organisation du secteur. "En effet, même si celles-ci comprennent les motivations des manifestants, leur situation économique tendue ne leur permet pas de perdre des journées de travail", a-t-elle expliqué.

Rappel à l'ordre de l'Intérieur. Lundi soir, le ministre de l'Intérieur Christophe Castaner a appelé "solennellement" au respect du principe de la libre circulation et averti que les déblocages menés par les forces de l'ordre allaient "se poursuivre dans les heures qui viennent". Il a ainsi demandé aux préfets et forces de l'ordre de "veiller à dégager systématiquement, mais méthodiquement, sans confrontation, les dépôts pétroliers et les sites sensibles". Le chef de l'État a pour sa part déclaré depuis Bruxelles qu'il répondrait au mouvement "en temps voulu", arguant qu'il ne s'exprimait pas sur l'actualité française depuis l'étranger.

Deux appels à manifester, "à pied, à cheval ou en voiture", pour "bloquer" Paris le samedi 24 novembre ont d'ores et déjà été largement relayés sur Facebook lundi. Le mouvement des "gilets jaunes", lancé sur les réseaux sociaux et qui n'a pas de leader connu, est soutenu par près de trois quarts des Français, selon plusieurs sondages. Mais, face à un mouvement qui a fait "trop d'accidents et de victimes", une des porte-parole des "gilets jaunes" dans la Loire a lancé lundi soir un appel à lever les barrages routiers et à viser plutôt des lieux symboliques de l'État, et non "les gens qui vont au boulot".