Des agents radicalisés dans les rangs de la police française

Une note confidentielle consultée par des journalistes recense des cas de radicalisation au sein de la police (photo d'illustration).
Une note confidentielle consultée par des journalistes recense des cas de radicalisation au sein de la police (photo d'illustration). © ANNE-CHRISTINE POUJOULAT / AFP
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M.L
Selon une note confidentielle révélée dans le livre "Où sont passés nos espions ?", 17 cas d'agents radicalisés ont été recensés au sein de la police de proximité de l'agglomération parisienne, entre 2012 et 2015.  

"Aucune partie du corps social" ne peut être considérée comme "à l'écart" du phénomène de radicalisation. A l'automne 2016, le ministre de la Justice Jean-Jacques Urvoas dénombrait, sur Europe 1, 12.000 personnes fichées S, parmi lesquelles "des militaires" et "des cas d'agents pénitentiaires". Le garde des Sceaux se voulait rassurant, affirmant que "des mesures disciplinaires" avaient été prises à l'encontre des personnes signalées. Quelques mois plus tard, des documents révélés par deux journalistes français pointent une autre catégorie d'agents chargés de la sécurité : les policiers. Au chapitre 10 de leur livre Où sont passés nos espions ? (Ed. Albin Michel), Christophe Dubois et Eric Pelletier s'appuient sur une note confidentielle de la sécurité de proximité de l'agglomération parisienne (DSPAP), relevant 17 cas de radicalisation entre 2012 et 2015.

Des chants religieux en patrouille. Cette note, datée du 9 décembre 2015, cite les exemples de plusieurs agents, souvent "jeunes, entrés dans la police au milieu des années 2000 et issus d'un concours interne", relèvent les deux journalistes. C'est le cas d'A., ancien adjoint de sécurité (ADS), les "emplois jeunes" de la police, qui a réussi le concours en 2012. Un an plus tard, l'agent change radicalement de comportement après un voyage à La Réunion. A son retour, ses collègues le trouvent "effacé" lors du contrôle d'une femme voilée, relèvent son "obsession à écouter des chants religieux en patrouille, écouteurs sur les oreilles, hors du monde." Il les quitte brièvement pour acheter "des burqas" à son épouse. La note soulève également les risques inhérents à la possibilité accordée aux policiers de porter leur arme en dehors du service, décidée après les attentats du 13-Novembre : A. "se rendrait à la mosquée avec son arme de service, dissimulée sous des vêtements traditionnels."

"Aucun officier, aucun commissaire" n'est cité parmi les 17 cas relevés. Il y a aussi M., en poste à Villeneuve-la-Garenne, qui s'est attiré les foudres de sa hiérarchie en se rendant à l'enterrement d'un collègue en djellaba. Quant à T., qui travaille au service des réseaux ferrés de la police, son profil psychologique est décrit comme "très instable". "Radicalisé" en 2012, il formule de multiples demandes de changement d'affectation en raison de la "décadence des moeurs" des agents qui l'entourent. Dans les rangs des forces de l'ordre depuis dix ans, il écope d'une suspension temporaire puis réintègre son poste, avant de se retrancher chez lui, menaçant sa compagne d'un couteau. Il est depuis en arrêt maladie.  

L'uniforme, "une saleté de torchon de la République". Un tiers des cas relevés concernent des femmes, souvent pour des problèmes d'uniforme. Lors d'une visite médicale, N., qui exerce dans le 12ème arrondissement de Paris, refuse d'enlever son hijab - un voile ne cachant pas le visage. Puis, assimilant son pantalon de police à "une saleté de torchon de la République", elle s'essuie les mains dessus. L'une de ses amies, B., refuse, elle, de serrer la main à ses collègues masculins. Lorsque le médecin du Travail lui demande d'enlever son voile, elle court étaler son manteau "au sol, devant l'établissement" avant de prier à même la rue. Après plusieurs incidents et un refus de s'associer à la minute de silence en commémoration des victimes de l'attaque de Charlie Hebdo, elle est révoquée en juin 2015.

" Si j'étais à la place des terroristes, cela ferait bien longtemps que j'aurais fait péter l'Elysée "

Dans beaucoup de cas, la radicalisation transpire d'abord sur les réseaux sociaux, et notamment sur les comptes Facebook personnels des agents, où s'exprime un certain sentiment d'impunité. "Il est temps, ô musulmans, de lutter. Il y en a marre de ces sionistes qui troublent nos vies. [...] Il faut leur faire la peau. [...] Les attentats des tours jumelles à New York et chez Charlie Hebdo à Paris, c'est comme dans les films américains et français : c'est une question de budget", écrit la policière du 12ème arrondissement, en arrêt maladie depuis bientôt deux ans. "J'ai encore plus honte de porter du bleu. Si j'étais à la place des terroristes, cela ferait bien longtemps que j'aurais fait péter l'Elysée et tous les enc…. qui y bossent", poste une autre femme, en poste dans le nord de la capitale, condamnée à dix mois de prison avec sursis et deux ans d'interdiction d'exercer.

En conclusion de ce florilège, la note évoque des incidents "isolés", "de nature éruptive", "mettant en évidence le sentiment de rejet de jeunes gens décidés à défier frontalement leur hiérarchie." Le phénomène est cependant pris au sérieux par la préfecture de police, qui liste, chaque semaine, "les comportements de transgression du principe de laïcité", en particulier les discours prosélytes. Depuis la mise en place de ce contrôle, l'administration déplore recevoir des "dénonciations fantaisistes", précise le document confidentiel. "Traiter un collègue musulman de radicalisé est un moyen que certains pensent efficace pour le mettre au ban de la communauté des flics."