L'administration pénitentiaire manque d'effectifs pour transférer les détenus de la prison au tribunal. 3:12
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Chloé Triomphe avec C.L. , modifié à
Le nouveau système d'escorte des détenus provisoires jusqu'au tribunal est confronté à de flagrants manques de moyens. Résultat, certains d'entre eux sont temporairement remis en liberté.
L'ENQUÊTE DU 8H

Il y a un mois, un incident avait fait naître la polémique : un détenu multirécidiviste (neuf condamnations) en détention provisoire pour violence avec arme avait été remis en liberté car aucune escorte n'avait pu l'emmener au tribunal pour une audience. Les magistrats étaient montés au créneau pour dénoncer une situation critique dans de nombreuses régions.

Sous-effectifs. Manifestement, ce cas n'est pas isolé. Dernier exemple en date, fin septembre au tribunal de La Roche-sur-Yon, cinq hommes qui devaient être jugés pour trafic de drogue, violence sur policier ou vol de portable ont tout simplement échappé à cette comparution immédiate faute d'escorte pour les transférer de la prison au tribunal. Ils seront jugés mais des mois plus tard, comme en témoigne Carine Dudit, de l'Union syndicale des magistrats. "Il a été demandé aux pôles de rattachement d'extractions judiciaires (PREJ) de les extraire. Mais le PREJ, par un message d'une banale simplicité, a indiqué que compte-tenu des effectifs disponibles, il n'était pas possible d'effectuer la réquisition. Le tribunal correctionnel n'a pas eu d'autre choix que de remettre en liberté ces cinq personnes", explique-t-elle à Europe 1.

Gendarmes et policiers en renfort. Ce genre de refus est fréquent au sein de l'administration pénitentiaire, faute de moyens humains. En effet, la mission d'extraction, auparavant assurée par la police et la gendarmerie, est progressivement récupérée par les agents pénitentiaires - région par région jusqu'en 2019. Mais les effectifs nécessaires ont été sous-évalués. Et policiers et gendarmes n'acceptent pas toujours de jouer les roues de secours. Jean-Claude Delage, du syndicat de police Alliance, est radical : "J'exhorte les commissaires de police et les chefs de service à faire comme nos collègues de la gendarmerie nationale, à savoir dire 'non' compte tenu de la charge de travail sur les migrants, les attentats, la sécurité au quotidien des Français. Il est donc hors de question que nous récupérions les missions d'extraction, qui sont à mon sens des missions indues."

Résultat, pour les magistrats, c'est franchement chaotique. Au tribunal de Laval, au moins de juin, sur 19 demandes, trois extractions seulement ont été réalisées par l'administration pénitentiaire. Dans les 16 autres cas, les juges ont dû se débrouiller avec de la visio-conférence ou négocier, presque marchander, comme l'explique Emilie Rayneau, vice procureur et déléguée syndicale. "Si on ne respecte pas les délais, les personnes peuvent être remises en liberté. Il faut penser à l'intérêt des victimes. J'ai en tête un dossier de pédopornographie et d'agression sexuelle sur mineur. La personne était déjà condamnée et si elle ne passait pas l'audience, elle se retrouvait dehors. Il a donc fallu qu'on explique pourquoi ce dossier était prioritaire."

Les refus se multiplient. Les exemples se multiplient à chaque fois qu'une région bascule vers le nouveau système : un refus sur deux en Vendée, au moins neuf exemples de remises en liberté depuis le mois de mai en Bretagne, Centre et Pays de la Loire... Les magistrats n'ont qu'une peur : qu'une personne remise en liberté commette un acte grave dans ce laps de temps. Signe que le problème est suffisamment sensible : un rapport d'inspection a été commandé en haut lieu au mois de mai et doit rendre son bilan et ses préconisations dans les semaines qui viennent.