Comment les crèches se sont retrouvées devant le Conseil d'Etat

© SEBASTIEN NOGIER / AFP
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La plus haute juridiction administrative du pays examine deux décisions de justice contradictoires sur la place des crèches dans les bâtiments publics.

Une collectivité locale peut-elle installer une crèche de Noël dans ses locaux ? Le Conseil d'État s'est réunit vendredi pour examiner la question, qui doit être définitivement tranchée dans les semaines à venir. La plus haute juridiction administrative se penche en effet sur deux affaires portées par la Fédération nationale des libres penseurs (FNLP). Selon cette association, les crèches sont des édifices à caractère religieux, et elles n'ont pas leur place dans un bâtiment public. Mais le rapporteur public du Conseil d'Etat, Aurélie Bretonneau, a émis vendredi un avis contraire. Comment en est-on arrivé là ? Décryptage.

La loi entretient le flou. "Il est interdit d'élever ou d'apposer aucun signe ou emblème religieux sur les monuments publics ou en quelque emplacement public que ce soit, à l'exception des édifices servant au culte, des terrains de sépulture dans les cimetières, des monuments funéraires, ainsi que des musées ou expositions". L'article 28 de la loi du 9 décembre 1905, dite loi de séparation des Eglises et de l'Etat, semble claire : la religion n'a pas sa place dans un bâtiment public. Mais le flou réside dans la nature même d'une crèche. Est-ce un édifice cultuel ou culturel ?

"La loi de 1905 laisse une large marge d'appréciation dans la qualification ou non d'emblème religieux de ces représentations figuratives. […] Une crèche peut être présentée dans un cadre culturel pour une courte durée", explique l'Observatoire de la laïcité, dans un guide sur la question. La loi de 1905 laisse en effet la possibilité de mettre des édifices religieux dans des bâtiments publics dans le cadre "d'expositions" ponctuelles. Toute la question est donc de savoir si une crèche de Noël rentre dans ce cadre-là.

Des décisions de justice contraire. Le Conseil d'Etat examine deux décisions de justice sur le sujet ayant abouties à des conclusions contradictoires. L'une concerne la mairie de Melun, en Seine-et-Marne, l'autre le conseil général de Vendée. Dans les deux cas, l'installation de crèches est contestée par  la "Fédération des libres penseurs de Seine-et-Marne" et la "Fédération de la libre pensée de Vendée". La Cour d'appel de Nantes a validé l'installation d'une crèche au conseil général de Vendée. Celle de Paris a, au contraire, donné raison à l'association qui refusait l'installation d'une crèche à la mairie de Melun.

" Une dimension pacificatrice de la laïcité "

Pour Me Alexandre Varaut, qui avait plaidé pour le département de Vendée, la crèche est "un symbole culturel, pas cultuel", "les gens ne prient pas" devant elle, "il n'y a pas d'installation par un prêtre". L'avocat fait d'ailleurs valoir que le conseil général ne met pas en place d'installation particulière pour Pâques "qui est pourtant la fête la plus importante pour les chrétiens". "Noël est pour tout le monde. C'est une fête de la famille, des enfants", explique Me Varaut à l'AFP.

"Ce n'est pas parce qu'une crèche a une valeur culturelle ou festive qu'elle n'a pas aussi une valeur cultuelle", ce qui interdit d'en installer "dans des lieux administratifs publics", réplique Me Régis Froger, qui défend la position des "libres penseurs". "Quiconque entre dans le hall d'une mairie par exemple doit avoir un sentiment de neutralité total", explique-t-il à l'AFP. "Il y a d'autres façons de représenter Noël : un sapin, des guirlandes etc." ajoute l'avocat.

Le rapporteur public défend les crèches. Aurélie Bretonneau, le rapporteur public du Conseil d'Etat, semble donner raison aux 'pro-crèches". Celle-ci a recommandé vendredi d'autoriser, sous conditions, l'installation de crèches de Noël dans les bâtiments administratifs. Selon le rapporteur public, l'article 28 de la loi du 9 décembre 1905 et plus généralement le principe de neutralité "n'interdit pas d'installer des crèches sur le domaine public", sauf quand une "intention religieuse" préside à une telle manifestation.

Installer une crèche dans une mairie ne peut être autorisé qu'à trois conditions : cette exposition doit être "temporaire", elle ne doit s'accompagner d'aucune manifestation de "prosélytisme religieux" et elle doit revêtir le "caractère d'une manifestation culturelle ou au moins festive", a argumenté Aurélie Bretonneau. "Nous ne croyons pas que le contexte de crispations sur la laïcité vous impose d'instruire par principe le procès de la crèche", a conclu le rapporteur, insistant sur la "dimension pacificatrice de la laïcité". Les avis de ce magistrat sont souvent suivis, même si ce n'est pas systématique.