"Ça rajoute une étape" : la livraison de drogue à domicile, un casse-tête pour les enquêteurs

Pour la police, le fonctionnement par "centrales d'appel" des dealers implique d'identifier davantage de maillons dans les réseaux (photo d'illustration).
Pour la police, le fonctionnement par "centrales d'appel" des dealers implique d'identifier davantage de maillons dans les réseaux (photo d'illustration). © AFP
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Pierre de Cossette, édité par
Christophe Descoms, chef de la brigade des stupéfiants de Paris, analyse pour Europe 1 le phénomène de vente de stupéfiants via des centrales d'appels, qui complique la tâche des policiers.
INTERVIEW

 

Le marché de la drogue fournit désormais les consommateurs… directement chez eux. En journée ou en soirée, des livreurs sillonnent les rues de Paris pour apporter tous types de produits aux acheteurs, auparavant contraints de se déplacer dans les "spots" de deal. Pour la police, la tâche est ainsi complexifiée : pour "remonter" jusqu'aux organisateurs des trafics, les maillons à identifier sont de plus en plus nombreux. Europe 1 a interrogé Christophe Descoms, chef de la brigade des stupéfiants de Paris.

Comment ce type de trafic s'est-il mis en place ?

C'est une demande des toxicomanes, qui n'avaient plus envie d'aller dans des cités, de prendre le risque de se faire voler leur argent, de subir des agressions ou même des contrôles de police. Moyennant un paiement plus important, ils voulaient se faire livrer à domicile pour avoir un produit plus cher mais amené par une filière qui assure une plus grande sécurité.

Les dealers ont répondu à cette demande de deux façons successives. Une première, assez basique, où vous aviez un client qui téléphonait à son dealer et le dealer venait livrer en scooter, souvent à proximité immédiate du domicile du client. Avec une grande limite, qui était qu'il y avait un lien téléphonique direct entre le toxicomane et son fournisseur… Donc la possibilité pour la police d'intervenir, et, après avoir interpellé le premier, retrouver relativement facilement le second.

Il a donc fallu, pour les dealers, casser le lien téléphonique qui existait entre le toxicomane et son fournisseur. Pour cela, on a vu la mise en place de centrales d'appel. Ce sont des téléphones dédiés, dont le seul rôle va être de recevoir des commandes sur un numéro. Ensuite, avec un autre téléphone, la personne - qui est simplement un employé du dealer principal - va actionner des gens en scooter. C'est la centrale d'appel qui donne l'adresse, qui donne la quantité et qui donne le produit qui doit être livré. La grande idée est que la personne qui livre n'a absolument aucun contact téléphonique avec son client. Il n'y a aucun lien qui permet à la police de faire le parallèle entre l'un et l'autre, sauf s'il y a une interpellation au moment de la livraison.

Et les clients acceptent de payer plus cher ?

Les toxicomanes clients habitent souvent dans des quartiers relativement huppés de Paris et sont tout à fait d'accord pour payer à peu près 20% de plus pour un même produit. Pour que ce soit rentable, le produit de base était au départ la cocaïne. Mais maintenant, on a des achats d'amphétamines, de méta-amphétamines, type ecstasy ou MDMA et on voit même arriver de l'herbe de cannabis. Elle est beaucoup plus chère que la résine, et donc la marge du dealer est beaucoup plus importante. Si la livraison coûte 10 ou 15 euros, sur un produit qui est vendu au gramme 50 ou 60 euros cela relativise le surcoût.

Quel est l'impact sur le travail des enquêteurs ?

Ça rajoute une étape : il faut faire un travail de téléphonie pour remonter jusqu'à la centrale d'appel, puis repartir de zéro et trouver l'autre téléphone, qui a été utilisé pour déclencher les ventes. Il y a en parallèle un travail de terrain, de filature des scooters, qui nécessite des dispositifs assez conséquents : c'est extrêmement compliqué à organiser dans Paris.

Dans un premier temps, l'investissement est extrêmement lourd parce qu'on est dans des approvisionnements faibles. Ensuite, une fois que vous remontez le réseau jusqu'au dealer principal, celui qui emploie la personne qui tient la centrale d'appel et les gens qui livrent en scooter, on retombe dans un processus classique : il faut retrouver le fournisseur de ce dealer. Il va lui même faire l'objet d'une enquête pour arriver à remonter ses propres fournisseurs et démanteler tout le réseau mafieux.

L'importance du phénomène est-elle quantifiable ?

C'est toujours compliqué d'apprécier un trafic de façon globale : par définition ce n'est pas comme les homicides, qu'il suffit de compter pour savoir comment ça évolue d'une année sur l'autre. Là, c'est une activité secrète, discrète et cachée. Quand vous avez beaucoup d'interpellations, vous ne pouvez jamais savoir si c'est parce que vous avez mieux travaillé que l'année d'avant, parce qu'il y a plus de trafiquants ou parce que vous avez eu plus de chance. Ce que je peux dire, c'est qu'on a le sentiment qu'il y a une augmentation, qui correspond à un besoin des toxicomanes de ne pas être inquiétés au moment où il vont acheter leur produit.