"Bio" ne rime pas (encore) totalement avec "Made in France"

© THIERRY ZOCCOLAN / AFP
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Alors que le marché du bio est en pleine croissance en France, les importations restent nombreuses.

Invité dimanche d'Europe 1, Philippe Dailliez, patron de Picard, lançait un "appel aux agriculteurs français". "Nous sommes en recherche d'approvisionnement en produits bio. Nous venons de passer un accord avec la Fédération nationale de l'agriculture biologique pour trouver des agriculteurs qui souhaitent s'engager dans la filière. C'est une main tendue", lançait le chef d'entreprise, à la veille de l'ouverture des Assises du bio. Comme nombreux distributeurs français, en effet, Picard entend bien surfer sur la "vague" bio. Mais il est bien obligé de l'admettre : "la plupart de nos produits bio viennent de Belgique ou d'Italie. On voudrait rapatrier nos productions de bio sur la France".

>> Si le marché est en pleine croissance en France, la production locale peine en effet à répondre complètement à la demande. Le bio des Français est-il français ? Décryptage.

76% de production "Made in France". Au regard des chiffres globaux, l'agriculture biologique française semble s'être considérablement développée ces dernières années. D'environ 5.000 producteurs bio en 1990, l'Hexagone est passée à plus de 26.000 aujourd'hui. Résultat : pas moins de 76% des produits bio que consomment  les Français viennent de France, contre 68% en 2011, selon  l'Agence française pour le développement et la promotion de l'agriculture biologique (dite "Agence bio").

La part de terre agricole "convertie" au "bio" augmente de plus de 20% par an, ce qui semble pouvoir absorber la croissance de 15% annuel du marché. En outre, les distributeurs jouent globalement le jeu des circuits courts. "Que ce soit dans les petites chaînes de distribution, chez les 'hard discount' ou les grandes surfaces, les distributeurs cherchent à contractualiser avec des producteurs locaux", assure Florent Guhl, directeur de l'Agence bio, contacté par Europe 1. "Les distributeurs veulent sécuriser leurs approvisionnements mais aussi satisfaire la demande des consommateurs", poursuit-il.

Encore beaucoup de disparités. Mais derrière ces chiffres se cachent tout de même de fortes disparités. Selon les régions, d'abord : si 10 à 20% des terres agricoles du sud de la France sont converties au bio, cela tombe à moins de 2% dans les régions autour et au nord de Paris. Mais les disparités se font surtout selon les produits.

Certains mets bios consommés par les Français ne se produisent quasiment pas du tout en France, comme le chocolat ou le café par exemple. Environ deux tiers du porc bio mangé en France viennent d'Allemagne. Près de 50% des produits de la mer et des produits d'épicerie (pâtes, riz, céréales, condiments, conserves, boissons non alcoolisées etc.) dits "bio" proviennent également de l'étranger. Et près d'un quart des fruits "bio" est même importé d'un pays extérieur à l'Union européenne. En volume, les importations de produits bio venant de pays extérieurs à l'Europe sont d'ailleurs passées de 72.000 tonnes en 2012 à plus de 94.000 en 2014. Et le pays hors UE qui nous vend le plus de produits bio se situe à… environ 8.000 kilomètres des côtes française. Il s'agit en effet de Madagascar, qui nous a vendu, en 2013, environ 23 millions d'euros de crevettes, de vanille et d'épices bio.

" Il y a encore une certaine volonté d'agrandir les saisons françaises "

"Il y a un certain nombre de produits que l'on ne trouve pas en France. Mais il y a aussi, de la part des distributeurs, encore une certaine volonté d'agrandir un peu les saisons françaises ! Du coup on va chercher des agrumes en hiver à l'étranger par exemple", analyse  Florent Guhl.

Comment concilier bio et local ? Pour les distributeurs, il faut une réorganisation complète du secteur pour réduire le nombre d'importations. "Le porc bio est acheté 3,50 euros le kilo aux producteurs français, contre 1,30 euros pour le porc conventionnel. C'est pour cela que l'on se fournit en Allemagne. Il faut une réorganisation du marché bio par filière, pour pouvoir faire des analyses de marché dignes de ce nom", nous indique la Fédération du commerce et de la distribution.

Le hic : si une réorganisation de la filière entraîne une baisse des prix, les producteurs risquent de ne pas vouloir se convertir. "Nous devons être vigilants et s'assurer que les agriculteurs vivent bien de leurs métiers", reconnaît le directeur de l'Agence bio. En coopération avec le ministère de l'Agriculture, l'Agence bio travaille donc à contractualiser les relations entre producteurs bio et distributeurs, afin que les premiers aient la garantie d'avoir une rémunération digne, et que les seconds aient la garantie d'avoir une production au niveau de la demande. "La solution viendra aussi des consommateurs. Ils doivent être prêts à payer un juste prix et à se plier à la saisonnalité française", conclut Florent Guhl.

Comment peuvent se repérer les consommateurs ? En France, le label AB (Agriculture biologique) garantit le respect d'un cahier des charges strict : celui d'un produit l'agriculteur ne doit pas utiliser de produits de synthèse, comme les produits phytopharmaceutiques (insecticides, fongicides, herbicides), d'engrais synthétiques, d'antibiotiques ou d'OGM. Toutefois, le label AB ne garantit pas que le produit que le consommateur a en face des yeux respecte l'environnement. Pour un produit respectueux de la planète à tous les maillons de la chaîne, en France, il y a les labels NF Environnement et Ecolabel Européen.