Affaire Merah : quatre semaines de procès et peu de réponses

Les plaidoiries des parties civiles commencent jeudi au procès d'Abdelkader Merah.
Les plaidoiries des parties civiles commencent jeudi au procès d'Abdelkader Merah. © Benoit PEYRUCQ / AFP
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À partir de jeudi, les plaidoiries des parties civiles marquent la fin des débats au procès d'Abdelkader Merah, accusé de complicité des tueries de son frère, sans que le dossier ait vraiment avancé.

Quel rôle a joué Abdelkader Merah dans la préparation des tueries de Toulouse et Montauban, perpétrées par son frère Mohamed au printemps 2012 ? Près de quatre semaines après le début d'un procès hors normes, la question n'a trouvé que peu de réponses étayées, en dépit de l'impressionnant nombre de témoins entendus et des longues auditions du principal accusé devant les assises spéciales. Les premières plaidoiries des parties civiles, jeudi matin, marquent la fin des débats dans un sentiment de confusion.

De rares communications téléphoniques. Une chose semble certaine : Abdelkader Merah maîtrisait mieux l'islam que son cadet Mohamed. "L'entrée en religion a changé ma vie", a reconnu le frère du tueur au scooter dès le deuxième jour de l'audience. À plusieurs reprises, la cour s'est penchée sur ses quatre voyages au Caire, dont les derniers ont été consacrés uniquement à l'étude de la langue arabe, sans laquelle "on ne peut pas comprendre le Coran." Dans la bibliothèque et sur le disque dur de l'accusé ont été retrouvés des centaines de documents écrits, audio et vidéo. Un "cocktail" dont seulement "10%" évoquent le djihad, selon le principal intéressé. Lui évalue son niveau de connaissance de la religion à "11 sur une échelle allant de 0 à 12". Et Mohamed ? S'il écoutait des chants religieux, "c'était en langue française" : il ne parlait pas arabe.

Abdelkader Merah, qui nie toute "allégeance à qui que ce soit", y compris Al-Qaïda, mais précise ne reconnaître que les "lois de l'islam" et pas celles "forgées par l'homme", a-t-il alors joué un rôle de mentor religieux pour son cadet ?  "On s'entendait puis on ne s'entendait pas", a expliqué le principal accusé en guise de réponse, comparant la relation avec son frère à "Tom et Jerry". Trois semaines avant les tueries, les deux hommes se sont réconciliés après une énième brouille. Les relevés téléphoniques font état de rares communications, les adresses mails d'aucun échange. Se voyaient-ils en chair et en os ? "Oui, mais de manière irrégulière", a d'abord répondu l'aîné. "Peut-être une fois par semaine", a-t-il déclaré un autre jour. Si la présence des deux frères à un match de football deux heures avant le premier assassinat a bien été confirmée, on ne sait rien de leurs échanges à cet instant.

"Je n'ai pas de preuve, c'est ma conviction". À la barre, plusieurs policiers au premier rang desquels l'ex-patron du renseignement toulousain n'ont pourtant pas hésité à charger Abdelkader Merah sur la base d'un "ressenti", vivement critiqué par la défense. "Je n'ai pas de preuve, c'est ma conviction", a reconnu Christian Balle-Andui, jugeant qu'Abdelkader avait "façonné Mohamed". Et d'asséner avec force, mais toujours sans élément matériel : "les attentats de Toulouse et Montauban sont le fait d'un projet collectif avec Abdelkader Merah, pour lequel Mohamed Merah a été le bras armé."

Interrogé sous X, "Hassan", un agent du renseignement qui avait surveillé Mohamed Merah, a de son côté avancé l'hypothèse qu'Abdelkader ait pu aider son frère à être adoubé par un groupe proche d'Al-Qaïda lors d'un voyage au Pakistan, un an avant les tueries de Toulouse. "C'est très compliqué d'entrer en contact avec ces dirigeants (...) S'il a pu le faire, c'est qu'il avait un blanc-seing." Un contact qui lui aurait été donné par son aîné ? "Abdelkader Merah a fréquenté pendant deux ans une école islamique au Caire. Il a forcément tissé des liens qui lui ont permis d'ouvrir des portes". Sans donner aucun nom.

Matérialité des faits. Niant toute volonté d'embrigadement de son frère, Abdelkader Merah a de son côté reconnu la matérialité des faits : il était présent au moment où Mohamed a dérobé le scooter utilisé lors des tueries, puis lui a offert le blouson qu'il allait porter. "En tant que musulman, un vol, c'est très désagréable pour moi", a commenté l'accusé, martelant que son cadet n'avait rien prémédité et simplement "sauté sur l'occasion" : les clés étaient sur le contact. S'il l'a suivi en voiture, c'était uniquement pour s'assurer qu'un "justicier" ne le poursuive pas. Et s'il a payé le blouson, c'est parce que son nom était déjà enregistré dans le fichier client du magasin : "c'était plus simple". Aucune version ne vient contredire ce récit : le troisième homme qui les accompagnait ce jour-là, Walid Larbi-Bey, a été assassiné depuis.

Sur un autre élément matériel, la question de savoir si Abdelkader Merah a pu se connecter, le 4 mars 2012, sur le site internet où figurait l'annonce de vente de moto passée par la première victime et qui a servi à la piéger, la cour n'a pas plus avancé. Un enquêteur a affirmé qu'il était impossible de prouver qui était derrière cette connexion, tandis que la mère d'Abdelkader et Mohamed, Zoulikha Aziri, présente dans l'appartement où l'annonce a été consultée ce soir-là, martèle qu'aucun de ses fils n'était présent. 

De lourdes peines ? Pour l'autre accusé, Fettah Malki, délinquant toulousain et ami de Mohamed Merah, qui se voit reprocher d'avoir fourni un gilet pare-balles, un pistolet-mitrailleur et des munitions, utilisés pour perpétrer les crimes, le schéma est similaire. S'il n'est pas poursuivi pour "complicité" mais "association de malfaiteurs terroristes", sa peine dépendra également de l'appréciation par la cour de sa connaissance des projets de Mohamed Merah. Lors de ses rares interrogatoires ces trois dernières semaines, l'homme a répété qu'il les ignorait totalement. Il encourt vingt ans de prison. Abdelkader Merah, la réclusion criminelle à perpétuité.