La chasse aux évadés fiscaux est-elle vraiment efficace ?

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Frédéric Frangeul avec Chloé Triomphe , modifié à
ENQUETE EUROPE 1 - 8.500 demandes de régularisation ont été enregistrées par Bercy, sur une estimation de 150.000 fraudeurs.

L’INFO. Est-ce une goutte d’eau dans l’océan ? Depuis le début de l'été, le ministère de l’Economie et des Finances  communique sur la chasse aux exilés et affiche ses résultats : 8.500 dossiers de demande de régularisation ont été enregistrés. Les services de Bercy,  qui évoquent une "croissance exponentielle" ces dernières semaines, aimeraient atteindre l’objectif de 10.000 dossiers avant la fin du mois de décembre. Une chasse qui pourrait faire rentrer plusieurs millions d’euros dans les caisses de l’Etat.

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Une fraude colossale. Au total, Bercy estime "possible" de ramener 150.000 comptes frauduleux. Des chiffres qui font sourire les banquiers suisses et certains économistes spécialisés. Car, selon eux, l’argent français non déclaré en Suisse atteint des montants faramineux : entre 60 et 80 milliards d'euros. Et ce volume ne cesserait d'augmenter  depuis 2009, date à laquelle le G20 de Londres avait décrété la fin du secret bancaire. Ainsi, pour l’économiste Gabriel Zucman, avec les pénalités et les amendes, la France pourrait récupérer entre 10 et 15 milliards d'euros par an si elle luttait de façon efficace contre la fraude.

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200.000 Français fraudeurs ? Rien qu'à l'UBS, l'une des plus grosses banques suisses, un ancien conseiller contacté par Europe 1 estime à 50.000 le nombre de comptes détenus par des Français dans cette banque, soit déjà un tiers du chiffre espéré par Bercy. En 2011, la confédération helvétique comptait 300 établissements bancaires. Pour de nombreux observateurs, le nombre de 150.000 comptes français en Suisse est largement sous-estimé. Plusieurs banquiers jugent plus vraisemblable qu’il y ait environ un million de comptes détenus par des Français. En Suisse, les professionnels de la finance s’accordent à dire qu’environ 200. 000 Français fraudent le fisc.

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Et les banques suisses dans tout ça ?  Le secret bancaire en Suisse a contribué à enrichir des générations de banquiers et de gestionnaires de fortune. Ils ont donc tendance à rester discrets sur ces questions. D’autant plus que les relations avec les clients sont basées depuis toujours sur la confiance. Mais, depuis l'automne, les clients français ont reçu des courriers pour leur annoncer que leur banque ne souhaitait plus gérer d'argent non déclaré et qu'elle les encourageait à profiter des possibilités de régularisation offertes par la France.

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Les petits fraudeurs régularisent, pas les gros. Mais si certains clients Français sont effectivement invités par leurs banquiers suisses à régulariser leur situation. Ce n’est pas systématiquement le cas. Concrètement, les "petits", ceux qui détiennent des comptes inférieurs à 500.000 euros, sont invités à partir, mais pas les gros. A ceux là, on propose d'autres solutions : les sociétés écrans, les sociétés off shore. L’argent est simplement transféré plus loin, dans un paradis fiscal mieux caché. Plusieurs destinations sont alors possibles : Singapour ou Hong Kong, en Asie, l'état du Delaware, aux Etats-Unis, les îles Caïmans aux Caraïbes non françaises. Autant d'endroits où le secret bancaire est encore garanti. Au final, pour les spécialistes, il y a plus de Français qui partent que de Français qui rentrent.

Où va l’argent ? Les Français qui ont décidé de fermer leur compte en Suisse ont eu le choix entre plusieurs options. Certains ont pris l'argent en cash pour investir dans l'immobilier en Suisse, ou acheter des bijoux, des tableaux.  Une autre solution consiste à opter pour un coffre. Le client ouvre alors un nouveau compte, déclaré celui là, et demande un coffre, où il dépose le reste de l’argent qu’il n’a pas déclaré. D'après les conseillers en optimisation fiscale contactés par Europe 1, ce type de fraudeurs cacheraient souvent moins de 3 millions d’euros.

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