Violée à six ans, "je dépense encore 15.000 euros par an pour ma santé"

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Emilie a été victime d’un double viol alors qu’elle était mineure. Son corps en souffre encore aujourd’hui. 
TÉMOIGNAGE

Troubles du comportement alimentaire, dépendance aux drogues ou à l’alcool, troubles gastro-intestinaux, musculo-squelettiques, neurologiques, métaboliques, cardiovasculaires, gynécologiques… Les conséquences médicales des violences sexuelles sont l’un des thèmes à l’ordre du jour des "Assises nationales" organisées lundi et mardi par l’association SVS (Stop aux violences sexuelles). Selon l’association, le corps médical est encore trop peu formé aujourd’hui pour répondre à toutes les séquelles développées sur le long terme par les victimes, et notamment les séquelles physiques.

"Si les conséquences délétères des violences sexuelles sur la santé psychique sont assez bien identifiées, les conséquences somatiques, particulièrement celles survenant à long terme, sont moins connues et sous-estimées", regrettait, en octobre 2015, le docteur Jean-Louis Thomas, rhumatologue et endocrinologue et secrétaire de l’association SVS, lors d’une présentation des dernières avancées scientifiques en la matière organisée par Les Entretiens de Bichat.

Les conséquences médicales des violences sexuelles sont d’autant plus sous-estimées que les victimes, surtout celles qui ont subi les violences durant leur enfance, développent souvent une forme "d’amnésie post-traumatique" et ne se rappellent des violences que très tardivement, vers 38 ans en moyenne selon SVS. L’Organisation mondiale de la Santé (OMS), l’Unicef ou encore La Croix rouge ont, récemment, alerté sur cette question.

Quelles sont les conséquences de ces séquelles sur la vie de tous les jours ? Europe 1 a interrogé Emilie (prénom modifié), 51 ans, deux fois victime de viol alors qu’elle était mineure. Depuis deux ans, elle est suivie par les médecins membres de SVS. Elle nous raconte sa souffrance, l’impuissance du corps médical et l’espoir retrouvé depuis deux ans.

  • A partir de quel âge avez-vous ressenti les premières séquelles ?

J’avais six ans lors du premier acte. Mon père, qui me donnait le bain, m’a mis un doigt dans le vagin. Très jeune, vers sept ou huit ans, j’ai commencé à avoir des troubles alimentaires. Je ne pouvais rien manger, j’avais des soucis de constipation. Vers 12 ans, j’ai commencé à avoir des migraines, et puis de l’endométriose, qui m’a duré toute ma vie, jusqu’à ma ménopause précoce, à 45 ans. J’ai également eu très tôt – et j’ai encore – des problèmes de circulation sanguine et de foie.

Le second acte a été commis par le frère de ma tante par alliance, lorsque j’avais 17 ans. Il m’a prise par surprise alors que j’étais seule dans une salle, je vous passe ensuite les détails. Peu après, j’ai développé une mononucléose. Je dormais tout le temps, je faisais des crises de tétanie, de spasmophilie et personne ne savait ce que j’avais.

J’ai fait de nombreuses dépressions, je suis allée voir un psychanalyste dès l’âge de 18 ans. J’ai toujours eu des problèmes relationnels, avec les hommes, avec l’autorité. Aujourd’ hui, j’ai développé une fibromyalgie et une maladie auto-immune. J’ai des ulcères, des hémorroïdes, parfois des troubles de mémoire et je fais des insomnies. Je fais du bruxisme (grincement de dents) parfois même en plein jour, ce qui abime mes dents et j’ai régulièrement eu des problèmes de dos. J’ai aussi fini par faire un burn out dans mon travail, il y a trois ans. Lorsqu’on a aussi peu confiance en soi que moi, on n’ose jamais dire non, face aux violences comme face au travail. J’ai fini par craquer.

  • A la vue de toutes ces pathologies, les médecins ont-ils fait un lien avec les viols ?

On m’a aiguillé vers des gastroentérologues, on m’a mis des tuyaux, on m’a fait subir des traitements très humiliants. Lorsque j’allais chez le gynécologue, on me disait que mon partenaire était responsable de mes maux… alors que je n’en avais pas ! J’avais l’impression d’être dans la plainte permanente, d’être incomprise. Personne n’avait jamais émis l’hypothèse du viol comme responsable de mes souffrances. C’est comme si l’on considérait normal qu’une femme souffre. Je dépense encore 15.000 euros par an pour ma santé. Jusqu’à il y a deux ans, je n’ai quasiment pas rencontré l’écoute dont j’avais besoin, à part peut-être un peu du côté de la médecine chinoise.

  • Que s’est-il passé il y a deux ans ?

Après mon burn-out il y a trois ans, j’ai moi-même commencé à faire le lien entre mes maladies et les viols. J’ai écrit sur le site de l’association SVS et j’ai rencontré le docteur Violaine Guérin (présidente de l’association et auteure de travaux sur les séquelles médicales de ces violences). Elle faisait, comme moi, l’hypothèse que tout était lié. Depuis deux ans, j’ai le sentiment d’être reconnue. Ce médecin m’a expliqué que plus le corps vieillissait, plus on avait de traces du viol, et plus le corps vieillissait. Le mental essaie de se persuader qu’il maîtrise. Mais le corps, lui, souffre.

Depuis, j’ai entamé une thérapie psychocorporelle, en groupe ou individuel. Ça m’a beaucoup aidé. Il y a un protocole intelligent, avec différents travaux sur différents thèmes : l’équilibre, la liberté, la confiance etc. On fait des jeux de rôle, de l’escrime. On apprend à attaquer, à se défendre, à repartir à l’attaque. Ça, c’est très très dur mais très très important. Pour les personnes qui seraient dans mon cas, je leur conseille d’écrire sur le site d'associations comme SVS. Le plus important pour commencer, c'est de trouver une écoute.