Smartphone : où commence l'addiction ?

Les 16-30 passent en moyenne deux heures sur leurs smartphone, d'après une étude
Les 16-30 passent en moyenne deux heures sur leurs smartphone, d'après une étude © SEBASTIEN BOZON / AFP
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Marthe Ronteix
Jusqu'à mercredi se déroulent les dix-septièmes" journées mondiales sans smartphone et sans portable". Un objet fétiche pour nombre d'entre nous mais qui peut aussi devenir une addiction.

Lorsqu'il a créé ces trois jours sans smartphone en 2001, l'écrivain Phil Marso comptait surtout faire réfléchir les Français sur la place du portable à l'époque dans la société. Seize ans plus tard, avec la popularisation des smartphones, la question est toujours d'actualité. D'autant plus que certains ont développé, sinon une véritable addiction, au moins une sorte de dépendance à ces concentrés de technologie, comme l'explique Michel Reynaud, professeur en psychiatrie et addictologie et président du Fonds actions addictions, interrogé par Europe 1.

Addiction ou pas addiction ? Dans le milieu scientifique, la qualification "d'addiction" est encore controversée pour définir l'utilisation frénétique de son smartphone, contrairement aux addictions au sexe ou aux jeux d'argent qui sont désormais considérées comme des pathologies. Par ailleurs personne consulte personnellement un médecin pour une utilisation trop intensive de son smartphone.

 

"En général, ce sont plutôt des parents inquiets qui viennent pour leur ado en fonction de leur propre perception de la norme", décrit le spécialiste. Ils trouvent que leur enfant passe trop de temps sur son portable, sans qu'il n'exprime de réelles souffrances. "Il y a addiction quand il y a des dommages et qu'on n'arrive pas à s'arrêter." C'est donc la fréquence d'utilisation qui pourrait poser problème. Mais si l'adolescent se sert de son smartphone pour maintenir le lien avec son groupe d'amis de la vie réelle, difficile de le lui reprocher.

Il est d'autant plus difficile de parler d'addiction qu'il s'agit d'un "merveilleux outil" qui donne accès "à des sources d'informations extraordinaires. Il permet de stimuler son cerveau, de maintenir le lien social avec les gens qu'on aime", affirme l'addictologue, d'où sa fonction "d'extension de notre bras".

Des conséquences sur notre fonctionnement cérébral. Mais les conséquences d'un usage intensif du smartphone sur notre fonctionnement cérébral existent. "Nous sommes beaucoup plus sollicités par un flot d'informations générales et personnelles qu'il y a 10 ou 20 ans et nous avons l'impression d'avoir un cerveau multitâche." Ce qui n'est pas le cas puisque nous ne faisons que passer très rapidement d'une tâche après l'autre, ce qui nuit à notre efficacité et notre capacité de concentration, qui est passée de 12 secondes à moins de 8 secondes", rappelle Michel Reynaud.

S'il ouvre des possibilités encore insoupçonnées il y a cinq ans, le smartphone nous a également fait perdre l'habitude d'utiliser certaines compétences. "Il nous sert de mémoire, nous n'avons plus besoin de calculer quoi que ce soit…", cite en exemple le spécialiste. Il est devenu un outil indispensable, une sorte de couteau-suisse.

Entendu sur europe1 :
C'est un objet important pour tout le monde mais chez certain il devient nécessaire et rassurant."

Pas tous égaux devant les addictions. Et certains profils sont particulièrement réceptifs au potentiel de ces objets qui sont intéressants et donc "excitants". "On retrouve des éléments de personnalité bien connus de toutes les addictions : un besoin de sensations fortes (il se passe toujours quelque chose sur un smartphone), un mal-être et une forme d'hyperactivité", décrit le psychologue et addictologue. Le smartphone est donc quasiment une réponse toute trouvée pour ces personnes.

Il permet également de mettre à distance les relations humaines avec lesquelles les personnes sensibles peuvent être mal à l'aise. Le smartphone "joue le rôle d'un doudou calmant. C'est un objet important pour tout le monde mais chez certain il devient nécessaire et rassurant."

Les journées sans smartphone, l'occasion de s'interroger. Plutôt que de se priver brutalement de son smartphone pendant trois jours, Michel Reynaud conseille d'en profiter pour s'interroger sur la place de ce téléphone dans notre vie. "L'existence de ces journées montre bien qu'on a des problèmes de contrôle, qu'on ne le maîtrise pas très bien, qu'il a envahi notre vie et qu'il rend parfois compliquées les relations entre parents et enfants." En réalité, son usage dans les relations sociales relève plutôt des bonnes manières : "On ne devrait pas avoir de téléphone quand on est à table, au lit avec quelqu'un, en pleine réunion…".

Jusqu'à mercredi, c'est donc l'occasion de faire de petits exercices, même s'ils peuvent être "très difficiles à pratiquer", reconnaît le spécialiste, "parce qu'on a toujours peur de manquer quelque chose d'important sans son smartphone." Par exemple, se forcer à ne pas regarder son smartphone pendant un dîner en tête-à-tête au restaurant, une réunion, une conversation. Des petits entraînements pour apprendre à maîtriser ces objets "dans lesquels il y a toute notre vie" car le patch anti-smartphone n'est pas encore d'actualité.