Automédication : les laboratoires veulent en profiter

© Max PPP
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L’automédication progresse en France, pour la deuxième année consécutive. Et les industriels comptent bien se saisir du marché. 

Les Français se soignent de plus en plus eux mêmes. Les ventes de médicaments en pharmacie sans ordonnance ont augmenté de 3,3% en 2016, selon des chiffres des fabricants du secteur parus vendredi. En y ajoutant les dispositifs médicaux et les compléments alimentaires non prescrits, le marché français de l'automédication a connu une croissance de 4,8%, poursuit l’Afipa, l’association des laboratoires spécialisés dans ce secteur. C’est la deuxième année de hausse consécutive, après plusieurs années moroses. L’Afipa l’assure : le terrain est fertile pour une automédication d'ampleur. Et les laboratoires comptent bien en profiter.

Les Français plébiscitent l’automédication. Aujourd’hui, en France, 15% des ventes de médicaments se font sans prescription d’un médecin, ce qui reste peu comparé à la plupart de nos voisins. A titre de comparaison, cela monte à 44% en Allemagne et à 41% en Suède. En outre, le déremboursement de plusieurs médicaments décidée par l’Assurance maladie et les pics de grippe expliquent en partie la hausse des chiffres de 2016. Mais les professionnels en sont certains : le marché va s’envoler.

L’Afipa avance pour preuve un sondage, réalisé à sa demande par l’institut OpenHealth : 91% des Français se disent capables de gérer leurs problèmes de santé bénins seuls. Et 80 % approuvent l’automédication pour "se soigner rapidement" et "parce qu'ils connaissent le traitement approprié à leurs symptômes". Interrogé par Les Echos, Dominique Giulini, président de l'Afipa et directeur de GSK Santé grand public, assure que "2017 pourrait être une année tremplin car tous les clignotants sont au vert". Même les médecins généralistes approuveraient la pratique, pour 63% d’entre eux, selon le même sondage. Cela leur permettrait, selon l’Afipa, de désengorger leurs cabinets et de se concentrer sur les maladies plus lourdes.

Les laboratoires se préparent. Sentant un terrain fertile, les laboratoires s’organisent. Plusieurs grands noms, comme Bayer, GSK ou Sanofi, ont fait le pari de se lancer dans les médicaments non remboursables. Quelques-uns abandonnent même certains de leurs anciennes spécialités pour se concentrer davantage sur ce secteur : GSK a ainsi laissé tomber la lutte contre le cancer, en cédant sa filiale à un autre laboratoire, tout comme Sanofi avec sa désormais ex filiale sur la santé animale. Le fabricant du Doliprane a par exemple mis la main sur les pastilles contre la toux Lysopaïne et les comprimés contre la constipation Dulcolax, autant de médicaments accessibles sans ordonnance.

" En France, il y a quand même cette idée que la médecine est gratuite et les médicaments remboursables "

"Les fabricants de médicaments génériques sont également sur le qui-vive", peut-on également lire dans une enquête du Monde sur le sujet. "Pour séduire les adeptes de l’automédication, les Mylan, Teva, Biogaran et autres spécialistes des molécules génériques se bousculent. Ils multiplient les campagnes de communication pour se faire connaître du grand public. Depuis dix ans, le Français Biogaran mène des campagnes de publicité télévisée pour mieux vendre ses pilules contraceptives et ses antalgiques. […] Biogaran a pour objectif de proposer un panier de 15 à 20 euros pour deux à trois médicaments. L’argument prix pourrait faire mouche", décrit le quotidien du soir.

Contrairement aux médicaments remboursables par la Sécurité sociale, les produits sans ordonnance peuvent faire l’objet de publicité. Et ces dernières années, les campagnes markéting des laboratoires spécialistes de l’automédication se sont affinées. "Il y a un changement de ton", décrypte pour Europe 1 Claude Le Pen, économiste spécialiste du secteur. "Il y a encore deux ou trois ans, les laboratoires faisaient campagne sur les économies que l’automédication pouvait entraîner pour la Sécurité sociale. Et cela ne fonctionnait pas. Aujourd’hui, ils font campagne sur l’efficacité des produits sur l’immédiateté d’accès. Et cela peut fonctionner : vous avez mal aux dents, vous prenez du paracétamol pour apaiser rapidement votre douleur, pas pour faire des économies à la Sécu", poursuit le spécialiste.

Un marché de niche et pas plus ? Aujourd’hui, plus d’une trentaine de laboratoires français – plus ou moins grands - se sont spécialisés dans l’automédication. Mais pour Claude Le Pen, rien ne dit que la tendance atteigne celle de nos voisins européens. "En France, il y a quand même cette idée que la médecine est gratuite et les médicaments remboursables. Or, qui dit automédication, dit que le patient doit payer de sa poche. Historiquement, le marché est petit et secondaire. Selon les années, ça augmente ou ça diminue. Il faudra analyser dans la durée", souligne l’économiste. Qui ajoute : "les pouvoirs publics, de droite comme de gauche, n’ont jamais vraiment encouragé l’automédication. Il tolère. Mais il n’y a jamais eu de campagne de promotion".

Pour changer la donne, les professionnels du secteur vont lancer, à partir du 13 février, une campagne baptisée "Selfcare et automédication ne sont pas des gros mots". "Des encarts seront publiés dans différents journaux, complétés par des chroniques radios. Enfin, une lettre ouverte sera adressée aux politiques, accompagnée d'une boîte de médicament factice et de sa notice", détaille le journal Les Echos. Objectif : obtenir du futur ministre de la Santé l’élargissement de la gamme de médicaments accessible sans ordonnance.