Sarkozy: son programme est-il réaliste?

Sarkozy a présenté son programme chiffré, jeudi. Voici ce qu'en pensent les économistes.
Sarkozy a présenté son programme chiffré, jeudi. Voici ce qu'en pensent les économistes. © REUTERS
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Hélène Favier , modifié à
DECRYPTAGE - Le projet du candidat UMP revu et corrigé par des économistes.

"L'écrit engage et laisse une trace". A J-17 du premier tour de la présidentielle, Nicolas Sarkozy a présenté son programme chiffré.

Dans ce document, le candidat de l'UMP table sur un retour à l'équilibre financier en 2016. Cet objectif est-il réaliste ? Les mesures de Nicolas Sarkozy pour y arriver tiennent-elles la route ? Pour répondre à ces questions, Europe1.fr a soumis 8 propositions de son programme au regard critique des économistes. Voici leur décodage. 

EMPLOI ET POUVOIR D’ACHAT

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> Lutter contre le chômage

Nicolas Sarkozy propose une exonération "permanente" des charges patronales pour les embauches de chômeurs de plus de 55 ans en CDI ou en CDD d'au moins 6 mois. Cette aide sera limitée à 36.000 euros de salaire brut annuel.

"C’est double peine"- "Sur le papier, cette mesure, comme celle du contrat de génération de Hollande, est séduisante. Reste qu’elle a peu de chance de créer de l’emploi", estime l’économiste de L'Observatoire français des conjonctures économiques, Eric Heyer . "Quand on cible ainsi une catégorie de population, le risque est de créer des effets d’aubaine", met-il en garde. « Dans un contexte déprimé, les entreprises qui ont "de toute manière besoin d’embaucher" se tournent vers des emplois aidés, solutions ‘bon marché’. "Au final, c’est la double peine. De telles mesures ne créent pas d’emploi et coûtent cher à un Etat déjà endetté", insiste Eric Heyer. Europe1.fr vous en dit plus ici.

> Réformer la prime pour l’emploi

Nicolas Sarkozy propose d'augmenter les bas salaires en recyclant la prime pour l’emploi (PPE) via des allègements de charges. Il souhaite supprimer les charges des "salariés" pour réévaluer les salaires. Cela permettra "à 7 millions" de salariés, dont le salaire est situé entre 1.200 et 1.400 euros nets par mois de gagner "un peu moins de 1.000 euros par an" supplémentaires, assure le candidat.

"Un système incitatif" - En fait, "tout dépend du salaire concerné", répond l’économiste Bruno Jérôme à Europe1.fr. "Si vous gagnez 15.000 euros net par an, cette réforme vous fera gagner 1.097 euros de plus que l’année dernière. Soit 91 euros par mois", explique l’économiste, chercheur à l'université Paris-II. En revanche, "si vous gagnez 10.000 euros net par an, le nouveau système vous fera gagner 23 euros supplémentaires par mois, soit 276 euros sur un année. Enfin, si vous gagnez 3.743 euros par an (le plus petit salaire concerné par la prime pour l’emploi) votre gain ne sera que de 1,2 euros par mois, 13 euros par an", tempère-t-il. En somme,"plus le salarié fait d’heures par an, plus le système est avantageux pour lui. C’est un effet de levier qui peut s’avérer incitatif", indique Bruno Jérôme.

> Création d'un "Buy European Act"

Le candidat-président exigera s’il est réélu que "l'Europe se dote d'un ‘Buy European Act’ sur le modèle du ‘Buy American Act’ pour que les entreprises qui produisent en Europe bénéficient de l'argent public européen".

"A gérer au niveau européen" - "C’est une excellente idée. Mais le problème est qu’il faut, pour la réaliser, que les partenaires européens de la France s’accordent sur ce sujet. Il faut bien voir que si une telle mesure était adoptée, il faudra élargir le budget européen et par conséquent augmenter les contributions de chaque pays", explique à Europe1.fr, l’économiste Bruno Jérôme, chercheur à l'université Paris-II. 

> Faire baisser les prix de l’immobilier

Son annonce : "tout terrain, toute maison, tout immeuble verra ses possibilités de construction augmenter de 30%".

"Pas d’effet avant six ans" - Il est difficile de confirmer qu’une telle mesure fasse baisser les prix. Elle se heurte à deux tendances lourdes : il manque beaucoup trop de logements pour que l’effet soit immédiat sur les prix et, surtout, il n'existe aucun terrain libre dans certaines zones comme la région parisienne. "Le risque est que cette proposition fasse aussi augmenter les prix du foncier. Les propriétaires vont ainsi être incités à augmenter le prix de leurs terrains, car ils savent que les promoteurs pourront en tirer plus d’argent ", explique à Europe1.fr le délégué général de l'association de consommateurs CLCVThierry Saniez. Enfin, la mesure, "si elle est efficace, n’aura d’effets que dans 5 ou 6 ans. Pas avant", conclut le spécialiste. Europe1.fr vous en dit plus ici

INSTITUTIONS

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> La réforme de la conditionnelle

Nicolas Sarkozy souhaite interdire les libérations conditionnelles pour les prisonniers qui n'auront pas purgé au moins les deux-tiers de leur temps de détention.

Mesure très "chère" : Cette mesure est réaliste, selon les économistes. Mais elle a un coût. "J’ai fait le calcul", explique Bruno Jérôme. "Grosso modo, un prisonnier coûte 100 euros par jour. Soit 36.000 euros par an. Si on estime que cette mesure s’applique au moins à 5.000 cas de libérations conditionnelles : on arrive à un budget de 0,2 milliard d’euros, soit 8% du budget actuel des prisons. Sans compter que cette décision générera d’autres coûts : celui de la construction de nouvelles places de prison, de l’embauche de personnels, etc.", détaille-t-il, estimant que cette mesure reste très chère.

 

> Lutter contre le terrorisme

"Désormais, toute personne qui consultera de manière habituelle des sites internet qui font l'apologie du terrorisme ou qui appellent à la haine et à la violence sera punie pénalement", a averti le président-candidat qui souhaite mettre en place cette disposition dans la foulée de l’élection.

"Comment faire ?" - Cette mesure est "assez exceptionnelle" en France, "puisque généralement, les démocraties sanctionnent ceux qui diffusent et enregistrent, non ceux qui lisent", explique le site spécialisé pcinpact.com. La mesure n'est toutefois pas inédite, explique à Europe1.fr Maître Alain Bensoussan. "Ce type de délit existe déjà en droit français", ajoute l’avocat, dont le cabinet est spécialisé sur les questions numériques. "Il existe, en effet, depuis la convention de Budapest [de 2001] sur la protection des mineurs sur Internet, un délit pénalisant toute consultation d’images pornographiques de mineurs", précise-t-il. Mais la difficulté de la mesure annoncée par Nicolas Sarkozy réside dans le flou de la qualification "sites faisant l'apologie du terrorisme ou appelant à la haine et à la violence". Quels seront, en effet, les sites rentrant dans cette catégorie ? Et où se situe la limite entre organisation terroriste et parti politique ? Europe1.fr vous en dit plus ici.

COTE RECETTES

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> Créer un impôt forfaitaire sur les grandes sociétés 

Nicolas Sarkozy prévoit "3,5 milliards d'impôts minimum sur les très grands groupes, ceux qui paient moins d'impôts en France parce que souvent ils défiscalisent leurs bénéfices à l'étranger". Cette taxe concernera au minimum une centaine de grands groupes ayant leur siège en France et une capitalisation d’au moins un milliard d’euros. Cette taxe serait d’abord appliquée à leur chiffre d’affaires mondial, puis, après signature de conventions fiscales, à leur bénéfice mondial consolidé.

"Une mesure dans l’air du temps" - "Cette mesure est dans l’air du temps. François Hollande propose quasiment la même chose", indique l’économiste Bruno Jérôme. "Il est très important de préciser que des conventions fiscales doivent être au préalable signées, sinon ces groupes trouveront toujours le moyen d’échapper à l’impôt par des montages financiers", ajoute-t-il avant de préciser : "Si cette mesure est prise dans la coopération, certains groupes au nom bien identifié, pourront montrer qu’ils font un acte citoyen, la démarche pourrait être valorisante pour eux. Cela étant dit, il faudra que Nicolas Sarkozy impose clairement cette mesure s’il veut récupérer plus de 3 milliards d’euros".

> Taxer les exilés fiscaux 

Nicolas Sarkozy propose que les "exilés fiscaux" paient la différence entre ce qu’ils acquittent comme impôt à l’étranger sur les revenus du capital et ce qu’ils devraient en France. Il estime à 500 millions d’euros par an lerendement de cette mesure pour l’Etat français.

"Comment réaliser une telle mesure" - "Cette mesure aussi est dans l’air du temps. Le problème est de savoir comment la met-on en place. La France ne pourra créer une telle mesure sans un accord de ses partenaires européens et sans se mettre en conformité avec les mesures européennes de fiscalité. Il faudra pour cela modifier les accords de Schengen ou signer des accords bilatéraux avec les autres pays", analyse Bruno Jérôme.