Présidence de l'Assemblée nationale : les quatre casquettes que va devoir porter Richard Ferrand

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Romain David , modifié à
Invités du Tour de la question sur Europe 1, l'historien Jean Garrigues et l'ancien président de l'Assemblée nationale, Jean-Louis Debré, reviennent sur les prérogatives qui attendent le quatrième personnage de l'Etat.
LE TOUR DE LA QUESTION

Sa tâche ne sera guère aisée. Richard Ferrand doit succéder mercredi à François de Rugy à la présidence de l'Assemblée nationale. Choisi par les élus de La République en marche pour porter au perchoir les couleurs de la majorité, Richard Ferrand devrait être élu sans difficulté, au regard du nombre de députés que compte le parti présidentiel. Il va hériter d'une assemblée en pleine métamorphose. Depuis 2017, la chambre basse réfléchit en effet à sa propre modernisation, et ce à tous les niveaux, qu'il s'agisse de la fabrication même de la loi, de l'intégration du numérique, de la transparence, des moyens attribués aux élus ou encore de la place accordée à leurs collaborateurs.

Autant de chantiers que le nouveau président va devoir superviser, en plus du rôle que lui assigne la Constitution. "Le président de l'Assemblée nationale est d'abord un arbitre, un personnage politique mais aussi un diplomate", résume l'historien Jean Garrigues au micro de Wendy Bouchard sur Europe 1. Au côté de Jean-Louis Debré, président de l'Assemblée nationale de 2002 à 2007, il détaille dans Le Tour de la question les différentes casquettes que doit porter le quatrième personnage de l'Etat.

L'arbitre des débats

La première fonction du président de l'Assemblée nationale, qui est également la plus visible pour les citoyens, est de diriger les débats qui se tiennent dans l'hémicycle, particulièrement pendant les séances de questions au gouvernement, les mardis et mercredis. "C'est la capitaine du vaisseau, c'est à lui de faire respecter un certain nombre de règles, ce qui, parfois, se fait au prix de tensions, de polémiques", explique Jean Garrigues. Par exemple, "Bernard Accoyer, qui a succédé à Jean-Louis Debré, s'était heurté à une fronde des parlementaires à propos de la réduction du temps de parole", rappelle l'historien. À tel point qu'une partie de l'opposition socialiste s'était levée pour entonner La Marseillaise au pied de la tribune du président.

"Il appartient au président de réguler le temps de parole pour que tout député puisse s'exprimer dans le temps prévu par le débat", renchérit Jean-Louis Debré. Ce travail se prépare généralement en amont, lors de la conférence des présidents, à laquelle participe le secrétaire d'Etat chargé des Relations avec le Parlement. "La conférence des présidents essaye d'organiser le débat de façon à ce qu'il y ait un peu de tenue", et notamment en fixant le temps accordé à chaque projet de loi, précise le fidèle proche de Jacques Chirac.

>> De 9h à 11h, c’est le tour de la question avec Wendy Bouchard. Retrouvez le replay de l’émission ici 

Un homme politique neutre  (en théorie)

Il est généralement attendu du président de l'Assemblée nationale, de par son rôle d'arbitre, qu'il fasse preuve d'une certaine neutralité vis-à-vis des forces politiques en présence dans l'hémicycle. "Le président de l'Assemblée nationale, quand il est au perchoir, n'est pas le président d'un groupe ou d'une tendance politique. Il est le représentant de l'Assemblée nationale, il incarne la représentation nationale et il doit traiter les députés, quel que soit leur étiquette politique, avec la même attention", insiste Jean-Louis Debré.

Pour autant, il n'en reste pas moins un élu de la Nation, attaché à une circonscription. "Pour être président de l'Assemblée nationale, il faut être député, donc vous avez une circonscription. Vous faites un travail de député normal", pointe celui qui fut en son temps à la fois maire d'Evreux et député de la première circonscription de l'Eure. Jean-Louis Debré explique ainsi avoir dû multiplier les allers-retours pendant qu'il occupait le perchoir. "Nos électeurs se fichent complètement de ce que vous faites à l'Assemblée nationale. Il veulent vous voir sur le terrain, à l'écoute". Élu du Finistère, Richard Ferrand est donc averti.

Un véritable diplomate

Le président de l'Assemblée nationale effectue des déplacements à l'étranger et peut même se voir directement confier certaines missions par le chef de l'Etat. "Il doit dialoguer avec le autres assemblées, et notamment les autres présidents des assemblées de toute l'Europe", précise Jean Garrigues. Une manière pour la France de resserrer ses relations avec les pays étrangers, mais aussi de contribuer à entretenir la démocratie européenne, notamment via des échanges de bonnes pratiques. "L'Assemblée nationale envoie des fonctionnaires en stage dans les autre parlements […] parce qu'il est très intéressant de s'inspirer des pratiques des autres", indique Jean-Louis Debré, qui cite en exemple l'introduction des questions d'actualité sous Edgar Faure (1973-1978), sur la base de ce qui se faisait à l'étranger.

Le rôle de représentation du président de l'Assemblée nationale doit aussi beaucoup à Léon Gambetta, qui, en 1879, ramène les députés du château de Versailles au Palais Bourbon, à Paris. Il lance du même coup la rénovation de l'hôtel de Lassay, devenu depuis la résidence officielle du président de l'Assemblée nationale et le cadre de fastueuses cérémonies. "Gambetta commence à organiser des réceptions pour donner une vraie place, un vrai lustre à ce que l'on appelait à l'époque, la chambre des députés", salue Jean-Louis Debré.

Un chef d'entreprise

Maintenance, travaux de rénovation, frais de bouches… Le palais Bourbon et ses dépendances forment une véritable petite ville dans la ville, qui réclame une intendance de taille. "L'Assemblée nationale, ce ne sont pas seulement 577 députés, ce sont plusieurs milliers de fonctionnaires", rappelle Jean-Louis Debré. Philippe Séguin (1993-1997) passe généralement pour le premier président de l'Assemblée nationale à s'être intéressé de très près à la questure, sorte de secrétariat chargé de gérer les questions administratives et de veiller à l'exécution du budget, c'est-à-dire à l'organisation matérielle du fonctionnement de la vie parlementaire.

Un rôle que Jean-Louis Debré a également eu à cœur de tenir. Au point d'avoir empêché sous son mandat un véritable "scandale", selon sa formule. À l'époque, un employé de l'Assemblée était chargé de ratisser les feuilles devant la salle du Congrès, à Versailles. Un travail effectué avec un râteau, jusqu'à ce que le dit employé réclame un appareil de motoculture. La demande atterrit sur le bureau de la questure… et entre les mains d'un Jean-Louis Debré outré. "J'ai dit : vous êtes malade ? On a sous-traité les jardiniers du château et rapatrié le fonctionnaire !" Que Richard Ferrand se le tienne pour dit : en cette période de restriction budgétaire, les économies se font à tous les niveaux.