Jean-Luc Mélenchon, le "gamer" de la présidentielle

Jean-Luc Mélenchon a beaucoup apprécié la réalité virtuelle.
Jean-Luc Mélenchon a beaucoup apprécié la réalité virtuelle. © BERTRAND GUAY / AFP
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Clément Lesaffre
Le candidat de la France Insoumise propose des mesures pour aider les éditeurs de jeux vidéo. Pas forcément à l’aise avec une manette, Mélenchon s’est progressivement passionné pour cette filière.

"Ça m'a mis dans un état d'excitation !". Nous sommes le 28 janvier et, sur Youtube, Jean-Luc Mélenchon ne parle ni de VIe République, ni défense des oubliés, ni même de son hologramme. Non, le candidat de la France Insoumise à l'élection présidentielle parle... de jeux vidéo. La veille, il a passé près de trois heures à l'École nationale du jeu et des médias interactifs numériques (ENJMIN), un établissement public qui enseigne le jeu vidéo à Angoulême. Là-bas, il a parlé "game design" et "gameplay" avec les développeurs et les étudiants. Surtout, il s'est essayé à la réalité virtuelle. "Mais c’est une vraie merveille ! Je suis vraiment au bord du précipice !", s’exclame Jean-Luc Mélenchon, casque VR sur la tête, en train d’escalader une montagne.

Plus réceptif que Valls. A l’école, on garde un bon souvenir du passage du candidat. "Il écoutait vraiment ce que les jeunes avaient à dire, il faisait des liens avec ses propres connaissances", se souvient la secrétaire générale de l’ENJMIN. Une visite qui contraste avec celle de Manuel Valls, passé le 18 décembre, alors qu’il était encore Premier ministre. "Valls était entouré de gardes du corps et il n’avait même pas voulu essayer le casque de réalité virtuelle. Alors que Mélenchon était très ouvert, très réceptif", compare Vincent Pellarrey, ancien étudiant de l’école et créateur du jeu d’alpinisme essayé par le candidat de la France Insoumise.

Un Centre national des jeux vidéo. Il ne s’agit pas que de communication de campagne. Jean-Luc Mélenchon en est convaincu : le jeu vidéo, c'est le futur de la création. "Le jeu structure l’imagination humaine. On commence tous par jouer pour se construire en tant que personne", a fait valoir le leader de la France insoumise mercredi dans la Social room d’Europe 1, espérant "clouer le bec à ceux qui ont du mépris pour le jeu". "On croirait que jouer c’est perdre son temps, et bien pas du tout. Jouer, c’est même gagner du temps puisque l’on peut s’enrichir humainement." Et il conclut : "Le jeu vidéo est un instrument magique de formation et de culture". Jean-Luc Mélenchon est d'ailleurs le seul candidat à proposer une mesure pour le secteur, en l'occurrence la création d'un Centre national des jeux vidéo (CNJV), doté de 15 millions d'euros de budget, pour épauler les éditeurs français.

Tout part d’une polémique

JLM, le "gamer" de la présidentielle ? Ce n'était pas gagné il y a encore deux ans et demi. A l'époque, sous l’impulsion d’Alexis Corbière, secrétaire national du Parti de Gauche et historien, le leader du Front de gauche s'insurge contre la représentation faite des révolutionnaires français dans le jeu Assassin's Creed Unity, conçu par les Français d'Ubisoft. "C'est de la propagande contre le peuple. Le peuple, c'est des barbares, des sauvages sanguinaires. Et celui qui est notre libérateur à un moment de la Révolution, Robespierre, est présenté comme un monstre. C'est une relecture de l'histoire en faveur des perdants et pour discréditer la République une et indivisible", disait-il en novembre 2014 sur France Info.

Polémique mal comprise. Des propos qui lui attirent alors les foudres des adeptes de la franchise d’Ubisoft et des joueurs en général mais qui ont été mal compris, rappelle aujourd’hui Alexis Corbière, désormais porte-parole de la campagne de Jean-Luc Mélenchon : "La controverse que nous avions lancée portait sur le contenu, idéologiquement orienté, mettant en avant la brutalité de la Révolution. Mais à part ça, Assassin’s Creed Unity est un jeu extraordinaire. Pouvoir se balader comme ça dans le Paris de 1789, c’est génial. Simplement, on trouvait dommage qu’avec tous les moyens mis dans ce jeu, le contenu soit biaisé."

Début de la réflexion. C’est pourtant cet évènement qu’Alexis Corbière choisit comme pierre fondatrice de la réflexion du candidat de la France Insoumise sur les jeux vidéo. "La polémique a eu un écho énorme et ça nous a permis de constater à quel point le jeu vidéo est aujourd’hui un produit culturel majeur. Des spécialistes se sont adressés à nous pour débattre et on a commencé à réfléchir au sujet", se remémore le porte-parole de Jean-Luc Mélenchon. Le futur candidat à la présidentielle commence à s’intéresser à la filière, découvre un secteur pourvoyeur d’emplois d’avenir, où la France dispose d’un vrai savoir-faire.

Aider les créateurs indépendants

De ces réflexions naît un constat : "Notre objectif, c’est de faire en sorte que le secteur des jeux vidéo ne soit pas dévoré par des majors (les gros éditeurs, ndlr) qui imposent un contenu idéologique", explique Alexis Corbière, lui-même ancien joueur de World of Warcraft. Le Centre national des jeux vidéo qu'entend créer Jean-Luc Mélenchon s’il est élu président de la République doit précisément servir à soutenir les créateurs indépendants. Un besoin d’accompagnement réellement ressenti au sein de la filière, notamment par Vincent Pellarrey, qui a fondé l’an dernier le studio Ebim avec deux associés – leur jeu d’alpinisme en VR testé par Jean-Luc Mélenchon doit sortir "prochainement".

Secteur précaire. "J’ai le sentiment que Jean-Luc Mélenchon comprend les enjeux et les problématiques de notre secteur, notamment la précarité qui nous touche", reconnaît Vincent Pellarey, qui a pu lancer son studio grâce à la protection de l’ENJMIN, où il a étudié. "Les grands studios comme Ubisoft ne sont pas représentatifs du secteur du jeu vidéo en France. Il y a beaucoup de créateurs indépendants pour qui c’est compliqué de trouver des financements". En effet, comme le cinéma, le jeu vidéo est à cheval entre l’industrie et l’art. Or, qui dit art dit création et donc une longue période de gestation des projets avant d’espérer une commercialisation. Sauf que les développeurs ne sont pas considérés comme des intermittents du spectacle.

Des mesures qui plaisent. Un accompagnement financier de l’État, comme le propose Jean-Luc Mélenchon, est-il la bonne solution ? "Ça peut être une solution mais il faut s’assurer que ça bénéficie au plus grand nombre", souligne Vincent Pellarrey. Une pique adressée aux grands studios. Justement, que pensent ces gros acteurs de la proposition de Jean-Luc Mélenchon ? Europe 1 en a contacté plusieurs mais aucun n’a souhaité prendre position en pleine campagne présidentielle. En aparté, un acteur majeur du secteur se dit tout de même "content de voir qu’un candidat s’intéresse aux jeux vidéo et fasse des propositions sérieuses".

L’industrie avant les joueurs

Dans cette élection présidentielle, Jean-Luc Mélenchon est bien seul sur le créneau des jeux vidéo – une nouvelle frontière de l’humanité" selon lui. Une solitude plutôt étonnante au vu du poids croissant de l’industrie. Le marché pèse 3,5 milliards d’euros et emploie plus de 23.000 personnes en France. Surtout, les jeux vidéo touchent toutes les générations : l’âge moyen des joueurs est de 34 ans. Ce qui n’empêche pas les "gamers" d’être "trop souvent méprisés", regrette Vincent Pellarrey. Résultat, la démarche de Jean-Luc Mélenchon séduit cette vaste communauté.  Sur le très populaire "Forum Blabla 18-25 ans" de jeuxvideo.com, un fil de discussion lui est dédié avec plus de 60.000 messages postés en quatre mois. Visiblement content de ce soutien mais pas bien certain du crédit à lui apporter, le candidat s’était quand même fendu d’un petit message de remerciement au Forum en novembre.

Pas un "gamer". C’est là tout le paradoxe de Jean-Luc Mélenchon : il est le candidat de la filière des jeux vidéo plus que des "gamers" en eux-mêmes. Il est passionné par l’horizon technologique que laissent entrevoir les jeux vidéo – en particulier la réalité virtuelle, capable, à termes, de soigner les phobies – et par l’organisation du travail des développeurs – "il y a une interaction extraordinaire entre les équipes. Chacun sait ce que fait l’autre et ça permet de faire des suggestions, de coopérer", dit-il.

Mais Jean-Luc Mélenchon parle finalement assez peu des joueurs ou de la pratique. Quand il s’y risque, il n’est pas toujours à l’aise : on sent que les jeux vidéo ne font pas partie de sa culture (il a quand même 65 ans). "Jean-Luc a un regard d’intellectuel, de philosophe", admet son porte-parole, Alexis Corbière. Mais cela suffit à s’attirer la bienveillance d’une partie des "gamers". Comme le résume Antoine, 25 ans dont 15 derrière la manette : "Il parle de jeux vidéo et c’est déjà beaucoup par rapport aux autres candidats".

Déjà le "héros" d'un jeu vidéo

Lors de sa visite à l’ENJMIN, Jean-Luc Mélenchon avait lancé l’idée d’un jeu vidéo autour de sa campagne. Il en avait d’ailleurs discuté avec Vincent Pellarey et ses associés. "Les discussions n’ont pas abouti, en tout cas pas encore. Mais c’était constructif. A titre personnel, j’aimerais qu’on aille au bout", affirme le développeur. Il était question d’un jeu à la fois ludique et éducatif autour de grands sujets de société, portés par Jean-Luc Mélenchon, mais pas uniquement, comme la transition énergétique.

Des jeux partisans. En attendant une éventuelle collaboration avec Ebim Studio, le candidat de la France Insoumise a déjà été pixellisé dans un jeu, disponible sur le web. "L’Emission Pourritique" est une satire de "L’Emission politique" de France 2 où il faut taper sur Jean-Luc Mélenchon. Un deuxième jeu est en route, d'après lui. On pourra y incarner le candidat de la France Insoumise pour attraper des "ennemis" tels que François Fillon et Pierre Gattaz et leur vider les poches.