Comment expliquer la dynamique Mélenchon ?

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Le 18 mars à Paris, Jean-Luc Mélenchon a pris la parole pendant une heure devant plusieurs dizaines de milliers de sympathisants. © Eric FEFERBERG / AFP
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Romain David , modifié à
En hausse dans les sondages, le leader de la France insoumise est en train de s’imposer comme le quatrième homme de la présidentielle, devant Benoît Hamon.

En état de grâce dans les enquêtes d’opinion, il espère bien continuer à monter en puissance. Jean-Luc Mélenchon, le candidat de la France insoumise, profite d’une forte embellie sondagière à moins d’un mois du premier tour de l’élection présidentielle. La semaine dernière, l’eurodéputé s’est offert le luxe de passer devant le socialiste Benoît Hamon, prenant la quatrième place. Une dynamique confirmée par un dernier sondage Ipsos-Sopra Steria publié mardi, où il enregistre 14% des intentions de vote au premier tour, contre 12% pour l’ancien frondeur. Sa cote de sympathie bondit également de 7 points à 40% dans le baromètre politique Odoxa de mars : en termes de popularité, le candidat passe ainsi devant Alain Juppé et talonne désormais Emmanuel Macron (45%).

De quoi donné des ailes à l’entourage du candidat, qui l’imagine déjà dépassant François Fillon, plombé par sa mise en examen dans une affaire d’emplois présumés fictifs et coincé à la troisième place dans les dernières enquêtes. "Les sondages sont loin de la réalité ! Nous pouvons gagner" a tweeté Raquel Garrido, porte-parole de Jean-Luc Mélenchon.

En effet, avec le coup d’accélérateur donné à la campagne ce week-end, la dynamique Mélenchon pourrait bien ne pas s’arrêter là. Le camion de la France insoumise a été lancé ce week-end sur les routes de France ; un 3,5 tonnes qui doit sillonner 27 villes à la rencontre des électeurs, soit plus de 3.000 km à parcourir. L’objectif : "Convaincre les 50% des Français qui n’ont pas encore fait leur choix" en privilégiant les contacts directs, à travers des prises de parole sur les places, explique à l’AFP Manuel Bompard, le directeur de campagne de Jean-Luc Mélenchon. "Nous avons franchi la barre des 300.000 insoumis, le million d’abonnés sur Twitter", s’enorgueillit également le responsable. Dimanche, le camion était à Rennes, l’un des bastions de l’opposition à la loi Travail, dont le candidat a fait l’un de ses chevaux de bataille. Le soir même, son meeting au Liberté, la garde salle de spectacle de la capitale normande, affichait complet.

Le candidat socialiste en perte de vitesse

Certes, Jean-Luc Mélenchon profite d’abord de l’affaissement de Benoît Hamon, lâché par de nombreux ténors du PS, et qui tente de s’imposer dans un espace politique à gauche de la gauche, déjà occupé… par Jean-Luc Mélenchon. "Tout le pari de Benoît Hamon était que Jean-Luc Mélenchon se retire ou que sa candidature ne prenne pas. Aujourd’hui, le socialiste a du mal à se différencier puisque tous les deux considèrent que la gauche s’est trompée entre 2012 et 2017. Mais Mélenchon est parti plus tôt. Son ‘Hollande, capitaine de pédalo dans la tempête’, lancé dès 2011, est resté gravé dans les esprits. Il répète aux électeurs qu’il avait raison depuis le début", analyse Bruno Cautrès, politologue et chercheur au CEVIPOF. "Et puis, globalement, l’appareil et les militants communistes sont davantage en bloc derrière Jean-Luc Mélenchon que les socialistes derrière Benoît Hamon", ajoute-t-il.

L’un des grands orateurs de la campagne

Surtout, le champion de la France insoumise a su imposer un style très marqué dans cette présidentielle, et se construire un personnage identifiable avec sa veste ouvrière, sa cravate rouge, ses discours lyriques au vocabulaire riche et truffés de référence historiques. C’est le grand point fort du tribun : son agilité à discourir et à débattre. Un talent mis au service du contact avec les militants car, s’il a largement déployé sa campagne sur les réseaux sociaux au point de s’imposer comme candidat 2.0 - dont la prestation holographique début février restera l’un des temps forts de la présidentielle -, Jean-Luc Mélenchon n’a pas non plus manqué de quadriller le pays. Ses fameux "déboulés" lui ont permis de se déplacer aux quatre coins de la France, et de prendre la parole de manière spontanée, du moins en apparence, face à un événement d’actualité. "Il a suffisamment de bouteille pour savoir que labourer le terrain est indispensable", commente Bruno Cautrès. Un exercice quasi jauréssien dans lequel le tribun excelle.

De ce point de vue, la marche parisienne du 18 mars pour une VIe République a marqué un véritable tournant. Prenant la parole pendant une heure devant 130.000 sympathisants, selon les chiffres des organisateurs, l’eurodéputé a réclamé l’abolition de la "monarchie présidentielle". Une prestation retransmise en direct par les chaînes d’info. Deux jours plus tard, lors du débat entre les 5 favoris du scrutin sur TF1, Jean-Luc Mélenchon confirme son aisance et sa bonne maîtrise des dossiers, cette fois devant 9,8 millions de téléspectateurs. "Il est apparu très à l’aise, décontracté, ferme, mais avec des traits d’humour, sans tomber dans l’excès. Il a été le principal animateur de ce débat", estime Bruno Cautrès. 

 

Le candidat est aussi le seul à avoir directement évoqué les casseroles judiciaires que traînent ses adversaires, à droite et dans le camp frontiste, faisant valoir du même coup sa probité. "Il est l’un des candidats les plus âgés mais, l’absence d’affaire judiciaire autour de lui, lui permet d’incarner une forme de renouveau", pointe Bruno Cautrès, alors même que de nombreux vétérans de la vie politique française ont été éclipsés pendant cette présidentielle. 

Un socle électoral élargi

Toute la difficulté pour Jean-Luc Mélenchon, désormais, est de continuer à se maintenir et d’éviter de revivre le scénario de 2012. À l’époque, sa campagne avait également bénéficié d’un véritable élan : salles combles, grand rassemblement à Bastille, une dizaine de jours avant le premier tour un sondage CSA pour BFM TV, RMC et 20 Minutes lui accordait même 17 % des voix. Pourtant, celui qui espérait revêtir le costume du troisième homme avait finalement terminé quatrième, derrière Marine Le Pen, avec 11,10% des suffrages exprimés. Cette année, le candidat pourrait transformer l’essai en s’appuyant sur la solidité de son électorat.

"C’est tout l’enjeu : montrer qu’il a su élargir par rapport à 2012. À l’époque, sa géographie électorale correspondait à celle du PC, avec quelques percées socialistes. Là, il va vraiment manger des voix sur les territoires PS", veut croire Bruno Cautrès. Pour se faire, le candidat a habilement réajusté sa cible. "Il y a cinq ans, la sociologie électorale de Jean-Luc Mélenchon était en rupture avec le fond de son discours. ‘Candidat du peuple’, son électorat était plutôt jeune et éduqué. En 2017, son électorat est plus populaire, plus ouvrier. Il y a plus de chômeurs aussi". 

À moins d’un mois du vote, il paraît cependant difficile de voir Jean-Luc Mélenchon engranger au point d’inquiéter les deux favoris, Emmanuel Macron et Marine Le Pen, caracolant à 24-25% dans les sondages. Mais un score élevé au premier tour lui permettrait de peser dans la recomposition annoncée du paysage politique post-présidentielle, voire de s'imposer comme le nouveau chef de file d'une partie de la gauche. "Si Benoît Hamon finit cinquième, imagine Bruno Cautrès, il sera très difficile au candidat PS de s'imposer comme le re-compositeur de la gauche en ignorant celui de la France insoumise".