Comment Bayrou entrave sa propre loi de moralisation

François Bayrou
Alors que son nom apparaît dans des affaires sur les assistants parlementaires du MoDem, François Bayrou doit défendre une loi de moralisation de la vie publique. © FRANCOIS GUILLOT / AFP
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Le ministre de la Justice a présenté mercredi son projet de loi de moralisation de la vie publique. Mais ses propres turpitudes, entre pression sur les journalistes et affaires visant le MoDem, brouillent son message.

En matière de communication, c'est l'artillerie lourde qui a été envoyée mercredi midi. Pour accompagner la présentation en Conseil des ministres de la loi de moralisation de la vie publique, qu'Emmanuel Macron lui avait promise lorsqu'il était encore candidat, le garde des Sceaux François Bayrou était sur RTL le matin. Il a aussi donné une interview au Monde parue à la mi-journée, avant de s'afficher discutant amicalement avec Édouard Philippe dans la cour de l'Élysée. Une mise en scène claire à défaut d'être subtile, poignée de mains à l'appui, destinée à faire taire les rumeurs de dissensions au sein du gouvernement.

Le fond de la loi passe à la trappe. Il en faudra plus pour détourner l'attention. La séquence de questions posées par les journalistes à Christophe Castaner à l'issue du Conseil des ministres, fut, à ce titre, parlante. Le fond de la loi de moralisation (rebaptisée "loi de confiance") n'a jamais été abordé. En revanche, le porte-parole du gouvernement a été longuement interrogé sur François Bayrou et sa légitimité à porter ce texte, alors que le nom du ministre de la Justice apparaît dans plusieurs affaires et polémiques. "On est sur des sujets majeurs qui ne doivent pas être brouillés par un fait, un témoignage qui provoque des débats et une couverture médiatique", a cru bon de rappeler Christophe Castaner après avoir consciencieusement répondu à toutes les questions.

Deux enquêtes ouvertes sur le MoDem. Mais le message est déjà brouillé. François Bayrou porte un projet de loi qui vise explicitement à rétablir "la confiance dans notre vie démocratique". Dans le même temps, son parti, le MoDem, est visé depuis la semaine dernière par une enquête préliminaire, ouverte après qu'un ancien collaborateur a certifié à la justice avoir été partiellement rémunéré par le Parlement européen, alors qu'il n'a jamais travaillé pour cette instance. Une autre enquête préliminaire a également été ouverte au mois de mars pour des faits similaires auprès de deux eurodéputés du MoDem, dont Marielle de Sarnez.

Le nom de l'ex-secrétaire particulière de Bayrou apparaît. Et les révélations médiatiques se poursuivent. Selon France Inter, les deux affaires seraient liées. Le MoDem aurait salarié "une dizaine" de personnes qui travaillaient au siège du parti en les faisant passer pour des collaborateurs d'eurodéputés, donc en les rémunérant grâce à l'argent du Parlement européen. Selon Le Canard Enchaîné de cette semaine, cela concernerait notamment l'ancienne secrétaire particulière de François Bayrou, Karine Aouadj.

Tous ces soupçons, François Bayrou les a balayés à plusieurs reprises, et notamment dans la longue interview qu'il accorde au Monde daté de jeudi. "Il n'y a jamais eu de pratique critiquable au sein de notre mouvement", assure-t-il. "Jamais. Tout cela est facile à établir."

" François Bayrou est sanguin, il a la tête dure. Ce n'est pas quelqu'un qui passe derrière. "

Pressions sur la presse. Mais ce ne sont pas les seuls faits qui font polémique. François Bayrou a également été épinglé pour avoir appelé la cellule investigation de Radio France et fait pression sur les journalistes qui, précisément, cherchaient à enquêter sur ces affaires d'assistants parlementaires. Un coup de fil que le principal intéressé n'a jamais nié et qui lui paraît parfaitement normal, comme il le répète dans les colonnes du Monde. "Je défends, j'ai toujours défendu et je défendrai toujours la liberté de la presse. Mais je considère qu'il y a symétriquement une liberté de critique de la presse, surtout dans une conversation privée. Quand j'ai quelque chose à dire à quelqu'un, surtout en privé, je le dis", explique celui qui, pourtant, en 2007, fustigeait les "interventions directes" de Nicolas Sarkozy auprès des médias.  

Bayrou, "un sanguin" qui "a la tête dure". Le Premier ministre a bien essayé de recadrer son garde des Sceaux, estimant que "quand on est ministre, on ne peut plus réagir comme quand on est un simple citoyen". En vain. François Bayrou revendique sa liberté de ton, dans la droite ligne de ce qu'il a toujours fait depuis son alliance avec Emmanuel Macron. Il estime que les candidats MoDem sont lésés par les investitures pour les législatives ? Le président du parti tape immédiatement du poing sur la table, quitte à mettre en péril la belle entente avec le président fraîchement élu. "Il est sanguin, il a la tête dure. Ce n'est pas quelqu'un qui passe derrière", reconnaît l'un de ses anciens proches auprès de l'AFP. Corinne Lepage, ancienne MoDem qui a rejoint En Marche!, a plus d'une fois fustigé les "prétentions" du garde des Sceaux.

"Le doute corrompt tout". Sa crédibilité pour porter la loi de moralisation, François Bayrou la devait notamment à ses prises de position récurrentes en faveur de plus de transparence. Affaire Tapie, dépassement des comptes de campagne de Nicolas Sarkozy, promesse de loi sur le sujet lors de sa campagne de 2012... "Tout le monde sait ici que c'est une loi qui me tient particulièrement à cœur", avait-il rappelé lors de la passation de pouvoir place Vendôme. Aujourd'hui, les soupçons qui pèsent sur le MoDem et son attitude envers la presse ne manquent pas de lui être rappelés dès qu'il ouvre la bouche sur le sujet. Au point de rendre la communication autour de la moralisation inaudible.

"Le président a rappelé que [cette loi] était un symbole fort face à un doute des Français. Le doute corrompt tout", a estimé Christophe Castaner mercredi. Tout, et peut-être même le ministre chargé de porter le texte.