Affaiblie mais intouchable : le paradoxe Christiane Taubira

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Louis Hausalter , modifié à
ENQUÊTE - Criblée de critiques par la droite, contestée dans le monde judiciaire, la garde des Sceaux est dans une posture délicate depuis les attentats. Mais elle compte bien aller jusqu'au bout.

"L'esprit du 11 janvier" et l'union nationale se sont bel et bien envolés. La vie politique a repris ses droits, et l'opposition ne se prive plus d'attaquer à nouveau l'exécutif. Mais au gouvernement, une ministre n'a pas dû remarquer la trêve. Christiane Taubira et son supposé laxisme face au terrorisme ont été au cœur des attaques de l'opposition, contrainte de saluer la gestion des attentats par François Hollande, Manuel Valls et le ministre de l'Intérieur, Bernard Cazeneuve. Pour celle qui est devenue l'icône d'une grande partie de la gauche depuis le mariage homosexuel, tout le défi est là : répondre aux coups et sortir par le haut d'une séquence politiquement délicate.

"Silence assourdissant". Certes, subir le feu nourri de la droite, Christiane Taubira y est habituée depuis 2012. Mais ces dernières semaines, l'UMP a repris ce refrain de plus belle, Nicolas Sarkozy en tête. "Est-ce que vous avez remarqué le silence assourdissant de Madame Taubira ?", s'est-il indigné la semaine dernière au micro d'Europe 1. "Est-elle toujours ministre de la Justice ?" Accusée de ne pas avoir joué son rôle au cœur de la crise, Christiane Taubira serait aussi responsable d'un "désarmement pénal" qui "affaiblit la France face au terrorisme", à en croire le député UMP Guillaume Larrivé, qui a récemment demandé sa démission à l'Assemblée nationale. "Ce n'est pas du Taubira bashing, ça ne concerne pas sa personne", explique-t-il à Europe 1. "Nous avons un profond désaccord de fond sur la politique pénale qui est menée".

Rare dans les médias. En face, Christiane Taubira assume sa faible présence médiatique. "J'ai fait le choix de rendre rare la parole d'une garde des Sceaux", a-t-elle expliqué samedi sur le plateau d'On n'est pas couché, sur France 2. "Je suis confrontée à la difficulté, lorsque je participe à des émissions, de manquer de temps pour expliquer l'action du ministère de la Justice". Pour autant, "je me rends bien compte que c'est extrêmement pénalisant", concède celle qui estime être "l'objet préféré de l'UMP".

Une source à la Chancellerie avance une autre version : "après les attentats, l'Elysée a ordonné que les porte-parole soient Cazeneuve et Valls". Pas pour écarter Taubira, insiste-t-on, mais pour éviter toute cacophonie. Résultat : la cote de l'exécutif a (temporairement) bondi dans l'opinion et les Français ont découvert Bernard Cazeneuve. Christiane Taubira, elle, a été récemment épinglée par un sondage Odoxa, selon lequel sept Français sur dix la jugent "pas assez sévère" contre la délinquance et le terrorisme.

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"Elle ne correspond pas à l'attente actuelle". Alain Tourret, député radical de gauche et proche de la ministre, a son explication : "lorsque de telles attaques terroristes se produisent, les yeux se tournent vers le ministre de l'Intérieur. La garde des Sceaux ne va pas se mettre derrière les troupes du Raid". L'élu rappelle toutefois "l'extraordinaire sévérité" des consignes de Christiane Taubira envers les auteurs d'apologie du terrorisme. De toute façon, la ministre aura beau parler, les circonstances ne lui sont pas favorables, estime Alain Tourret. "Elle ne correspond pas pas à l'attente actuelle des médias et des Français. Quelque chose a changé pour elle, c'est une évidence. Il lui sera extrêmement difficile de retrouver une capacité d'écoute", pronostique-t-il.

Mécontentement des magistrats. Mais au-delà de la séquence "Charlie", l'attitude de la garde des Sceaux semble depuis longtemps causer un malaise, avéré celui-ci. Car la contestation ne vient pas seulement de la droite. Le monde judiciaire cache de moins en moins son mécontentement. "Son bilan est très maigre", pointe Virginie Duval, présidente de l'Union syndicale des magistrats (USM), majoritaire dans la magistrature. "C'est beaucoup de réflexions, de grand-messes sur la 'justice du XXIe siècle, on réfléchit encore et encore, et rien n'en ressort". L'USM se plaint aussi du manque d'écoute de la ministre. "On ne la voit jamais malgré nos demandes répétées", déplore Virginie Duval.

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Dernier couac en date : la réforme de la justice des mineurs, qui mise sur plus de mesures éducatives et prévoit la suppression des tribunaux correctionnels pour mineurs, créés sous Sarkozy. Promis de longue date, ce projet de loi a fait l'objet d'une grande journée de débats avec un millier de professionnels début février. Et pourtant, aucun calendrier n'est fixé pour l'instant. Il faut dire que le contexte, celui d'une opinion publique plus favorable à la répression, n'est pas jugé très porteur à Matignon.

Au ministère de la Justice, on espère que cette réforme verra le jour avant la fin de l'année. En attendant, l'entourage de Christiane Taubira défend son bilan. "25 textes sont passés depuis deux ans et demi", martèle-t-on, en soulignant les contraintes rencontrées : "ce sont des sujets lourds, de gros textes. On a besoin de doser l'effort".

"Une pièce maîtresse pour François Hollande". Pas de quoi convaincre l'opposition. "C'est un ministère de la parole, pas le ministère de la réforme tant attendu par les magistrats", dénonce Georges Fenech, secrétaire national de l'UMP à la justice. Mais pour le député du Rhône, Christiane Taubira "est très protégée par le président de la République et le Premier ministre. Depuis le mariage pour tous, elle a un statut d'icône".

C'est tout le paradoxe Taubira. Très contestée, elle est pourtant quasi-intouchable. "Elle estime que plus la droite l'attaquera, plus ça la renforcera", confie un parlementaire qui l'a vue récemment. D'autant que, depuis le départ d'Arnaud Montebourg, Benoît Hamon et Aurélie Filippetti, elle serait "la dernière ministre de gauche" de François Hollande, raille-t-on à l'aile gauche du PS. "C'est une pièce maîtresse pour François Hollande, qui l'a déjà retenue par la manche plusieurs fois", juge Georges Fenech. "Se séparer d'elle serait un signe de provocation envers son aile gauche". Surtout après le douloureux épisode du 49-3...

Partie pour rester. Malgré l'accumulation des difficultés, et alors que les rumeurs de remaniement reprennent, personne ne donne Christiane Taubira sur le départ. "Elle ira jusqu'au bout du quinquennat car elle veut terminer ses réformes", jure Sihem Souid, chargée de mission au ministère de la Justice, par ailleurs chroniqueuse et écrivain. "En tout cas, ce n'est pas elle qui remettra sa démission", assure le député PRG Alain Tourret. Taubira, ministre encombrante, mais icône bien utile.