À quoi va servir "l'instance de dialogue" avec l'islam ?

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Manuel Valls et Bernard Cazeneuve donnent lundi le coup d'envoi d'une "instance de dialogue" avec l'Islam. © FRANCK PENNANT / AFP
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G.S. avec AFP , modifié à
L'exécutif lance lundi un vaste "forum" pour faire remonter les problèmes rencontrés par les musulmans.

Le gouvernement organise lundi la première réunion d'une large "instance de dialogue avec l'islam de France". Elle avait été annoncée en Conseil des ministres en février dernier, peu après les attentats de Charlie Hebdo, pour combler l'absence constatée d'une instance représentative de l'ensemble des Français musulmans, dans toute leur diversité.

Entre 120 et 150 responsables de fédérations, recteurs de mosquées, imams, aumôniers, théologiens, islamologues, personnalités de la société civile et représentants des pouvoirs publics participeront à cette demi-journée de débats au ministère de l'Intérieur. Des soufis tenants d'un islam mystique aux prédicateurs littéralistes du Tabligh, en passant par les Frères musulmans, un large éventail de sensibilités sera représenté. Leur point commun : "l'adhésion au principe de laïcité" et le "respect des lois et des valeurs de la République", dixit le ministère de l'Intérieur.

Valls : "l'islam est en France pour y rester"

Ouvrant lundi la première réunion de la nouvelle instance de dialogue, Manuel Valls a constaté que "l'islam suscite encore des incompréhensions, des a priori, du rejet chez une partie de nos concitoyens, des amalgames dont vous êtes victimes". "Or l'islam est en France pour y rester. C'est la deuxième religion de notre pays. Il faut donc mener le combat des consciences, et faire jaillir au grand jour ce qu'est la réalité de l'islam de France", a poursuivi le Premier ministre.

Pas une instance décisionnelle. "Il ne s'agit pas de créer une organisation nouvelle des Français de confession musulmane, ni de constituer une enceinte de négociation devant déboucher sur des décisions immédiates", a d'emblée prévenu le ministre de l'Intérieur, Bernard Cazeneuve, dans la lettre envoyée aux invités. Et pour cause : la loi de 1905 oblige interdit à l'Etat d'organiser les affaires d'une religion. La perspective est plutôt de "réunir un forum d'échanges régulier" - une à deux fois par an - entre l'Etat et les musulmans, deuxième communauté confessionnelle de France, avec environ 5 millions de membres.

Le CFCM "au cœur" du dispositif. La réunion sera ouverte par le Premier ministre, Manuel Valls, auquel succèdera à la tribune Dalil Boubakeur, président jusqu'au 30 juin du Conseil français du culte musulman. Une manière de montrer que le CFCM, largement critiqué pour ses défaillances, ses querelles internes et son manque de représentativité, sera "au coeur de l'instance de dialogue", selon l'expression de la Place Beauvau. "Si l'objectif n'est pas de remplacer le CFCM, la démarche est intéressante et on n'a aucune raison de ne pas y participer", a confié à l'AFP Anouar Kbibech, prochain président de ce conseil.

De possible annonces à attendre. La première réunion de l'instance sera conclue par Bernard Cazeneuve, qui devrait préciser la suite du calendrier, avec la éventuellement des groupes de travail sur tel ou tel thème, a indiqué son entourage. Le ministre chargé des cultes pourrait aussi faire des annonces, notamment sur l'obligation d'une formation universitaire civile et civique pour les aumôniers pénitentiaires, voire le contrôle de la maîtrise du français par les imams détachés par des pays étrangers, selon l'Intérieur.

Quatre grands thèmes au menu. Auparavant, quatre ateliers thématiques auront mobilisé lundi les participants à l'instance, fruits des doléances recueillies sur le terrain, où les préfets ont rencontré quelque 5.000 musulmans. La sécurité des lieux de culte et l'image parfois dégradée de l'islam dans les médias et l'opinion publique fera l'objet d'une table ronde, dont le rapporteur sera Abdallah Zekri, président de l'Observatoire national contre l'islamophobie au CFCM. Kamel Kabtane, recteur de la grande mosquée de Lyon, rendra compte des débats autour des questions épineuses de la construction et la gestion des lieux de culte.

L'imam Ahmed Miktar, gravitant dans la mouvance "frériste", devrait résumer les travaux relatifs à la formation et au statut des aumôniers et cadres religieux. Quant à Mohammed Moussaoui, ancien président du CFCM, il s'occupera des pratiques rituelles: la certification du halal, le nombre insuffisant d'abattoirs, les éventuels abus financiers liés au pèlerinage à la Mecque (hajj) ou le manque de carrés musulmans dans les cimetières.

La radicalisation ne sera pas abordée. Le sujet de la radicalisation, en revanche, ne donnera pas lieu à un atelier spécifique. "Nous avons estimé que ce serait un mauvais message adressé aux Français et à la communauté musulmane que de le mettre à l'ordre du jour de la première réunion de l'instance", indique la Place Beauvau, qui veut éviter toute "stigmatisation".

Le défi de cette "instance" n'est pas des moindres. Et pour cause : ce n'est pas la première fois qu'un gouvernement français se saisit de la question de la représentation des musulmans. Après le Conseil de réflexion sur l’islam de France (Corif), créé en 1988 mais abandonné en 1993, l’Istichara "la consultation", lancée par le ministre de l'Intérieur Jean-Pierre Chevènement en 1999 et le CFCM créé par Nicolas Sarkozy en 2003 pour palier déjà ce défaut de représentation, cette "instance de dialogue" mettra-t-elle enfin tout le monde d'accord ? Début de réponse lundi.