Débat sur la Syrie : faut-il revoir la Constitution ?

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Fabienne Cosnay , modifié à
LE POINT DE VUE DE - Les professeurs de droit Bertrand Mathieu et Paul Alliès débattent du rôle du Parlement.

A l'instar de David Cameron et de Barack Obama, François Hollande demandera-t-il un vote du Parlement avant toute intervention en Syrie ? La question agite la classe politique depuis plusieurs jours. Au sein de l'exécutif, on rappelle que la sacro-sainte Constitution n'impose rien au chef de l'Etat et que "c'est au président de la République qu'il appartient de décider si un vote (du Parlement, ndlr) doit avoir lieu". Vision archaïque, dénoncent certains députés. Le texte fondateur de la Ve République serait dépassé. Pour tenter d'y voir plus clair, Europe 1 a posé la question au constitutionnaliste Bertrand Mathieu et à Paul Alliès, professeur de sciences politiques et ardent défenseur d'une VIe République.

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La règle générale. Il faut se référer à l'article 35 de la Constitution qui prévoit une consultation au Parlement mais pas de vote. "Le Gouvernement informe le Parlement de sa décision de faire intervenir les forces armées à l'étranger, au plus tard trois jours après le début de l'intervention. Il précise les objectifs poursuivis. Cette information peut donner lieu à un débat qui n'est suivi d'aucun vote". Le vote du Parlement ne devient obligatoire que "lorsque la durée de l'intervention excède quatre mois". Le 22 avril, l'Assemblée et le Sénat avaient ainsi voté à l'unanimité la prolongation de l'opération Serval au Mali, engagée le 11 janvier.

Ce qui est possible. Pour faire voter le Parlement, le chef de l'Etat a deux articles de la Constitution sous la main. En vertu de l’article 49.1, le gouvernement peut engager par un vote sa responsabilité sur "une déclaration de politique générale". Cette disposition n'a été utilisée qu'une seule fois sous la Ve République. Le 16 janvier 1991, Michel Rocard avait eu recours à cet article avant l'envoi de troupes françaises dans le Golfe, lors de la première guerre d'Irak. Issu de la réforme constitutionnelle de 2008, l'article 50-1 de la Constitution est beaucoup moins risqué puisqu'il permet à l'exécutif d'organiser un débat au Sénat et à l'Assemblée "sur un sujet déterminé" sans pour autant engager sa responsabilité.

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NON. "On ne peut pas obliger en toute circonstance un vote".

Le constitutionnaliste Bertrand Mathieu a précisément travaillé sur cette question en 2007 au sein du comité Balladur consacré à la réforme des institutions et dont certaines conclusions ont abouti à la réforme constitutionnelle de 2008. L'expert du texte fondateur de la Ve République pointe une chose : "avant d'être un problème idéologique, un vote au Parlement pose une question pratique". "A l'époque, après différentes auditions, nous en sommes arrivés à la conclusion qu'un vote du Parlement n'était pas toujours possible pour une question de calendrier. "Il faut, dans la Constitution, prévoir le scénario d'une véritable urgence où le président n'a pas le temps de consulter le Parlement avant de lancer une intervention militaire", estime le spécialiste. "On ne peut pas obliger en toute circonstance un vote des deux Assemblées car réunir le Parlement en session extraordinaire prend forcément quelques jours", rappelle t-il.

Pour Bertrand Mathieu, la Constitution offre aussi suffisamment de garde-fous "puisque l'article 35 de la Constitution prévoit un vote obligatoire des députés et sénateurs si la durée de l'intervention excède quatre mois".  Si le gouvernement souhaite obtenir un vote au préalable, il a les moyens constitutionnels de le faire", estime le professeur de droit constitutionnel, faisant référence aux articles 49.1 et 50.1.

OUI. "Une Constitution "totalement archaïque"

"Une humiliation française". Voila le titre retenu par Paul Alliès dans un billet de blog publié vendredi sur Mediapart. Le professeur de sciences politiques et président de la Convention pour la VIe République, interrogé par Europe1.fr, juge la Constitution instaurée en 1958 par le général de Gaulle "totalement archaïque". "Quelle que soit la position qu'on défende sur le fond (pour ou contre une frappe punitive), le préalable devrait être l'exigence d'un équilibre des pouvoirs et l'expression de la représentation nationale. Ce qui veut dire en bon français, l'avancée vers une République parlementaire", écrit-il sur Mediapart. Pour Paul Alliès, l'article 35 de la Constitution doit être modifié afin de permettre un vote du Parlement en toute circonstance et avant toute intervention armée. Sans pour autant que le gouvernement engage sa responsabilité sur ce vote. "L'idée n'est pas de fragiliser l'exécutif mais qu'il soit appuyé par les deux Assemblées", souligne le professeur de droit.