Chagrin et colère après le suicide du père de Jallatte

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Rédaction Europe1.fr , modifié à
Fondateur en 1947 d'une société dans le Gard, Pierre Jallatte n'aurait pas supporté la menace de délocalisation. Il a mis fin à ses jours, à l'âge de 88 ans. Un geste qui suscite émotion et colère chez les salariés et les élus de la région.

Toute la journée, les habitants ont continué à défiler devant le portrait de Pierre Jallatte et le drap noir hissés en signe de deuil devant l'entrée de l'usine de chaussures de sécurité à Saint-Hyppolyte-du-Fort, ancien fort construit par Vauban au XVIIe siècle, berceau de la société. En hommage au défunt, ils ont signé les registres de condoléances. Pierre Jallatte n'a pas laissé d'explication à son suicide. Retraité âgé de 88 ans, il s'est tiré un coup de carabine dans la tête vendredi, dans sa maison de Nîmes.La préfecture du Gard dit n'avoir aucun élément particulier sur le lien éventuel avec les problèmes de son ancienne société. Pourtant, à l'usine de Saint-Hyppolyte, plusieurs amis de l'ancien patron rapportent qu'il déclarait vouloir mourir avant d'avoir vu son usine fermée. Beaucoup veulent voir dans son geste un message et une ultime tentative. "L'acte de Pierre Jalatte est un acte courageux. C'est le geste d'un homme de grand charisme qui ne supportait pas l'échec. Ce geste, il l'a fait pour nous sauver car il ne supportait pas l'idée que le fric puisse gâcher des vies humaines", a dit dimanche à Reuters Jean-François Anton, délégué CGT de l'usine Jallatte. "Il vient une nouvelle fois de prouver son courage. Il a marqué de son empreinte Saint-Hyppolyte-du-Fort et tout le Gard. Que son dernier geste rende vie une fois de plus à la marque Jallatte et à ses salariés pour les années à venir", a écrit sur le registre de condoléances Damien Alary, président PS du conseil général. Plus agressif, l'ancien directeur de la production de l'usine accuse directement "les dirigeants du groupe et les actionnaires" de l'avoir "tué". Le sort des deux sites de production n'est pas encore scellé, car le groupe italien Jal, qui a annoncé fin mai son intention de les délocaliser en Tunisie, a accepté vendredi, alors même que Pierre Jallatte mettait fin à ses jours, de remettre le projet à l'étude. Le groupe fait état de graves difficultés financières alors que les syndicats assurent que la production est rentable et que les affaires sont même en hausse. Une manifestation contre la délocalisation est prévue jeudi à Alès, où se trouve la seconde usine Jallatte. Les salariés porteront un brassard noir en signe de deuil, ont annoncé les syndicats. Les salariés entendent aussi rendre hommage à leur ancien patron lors de ses obsèques, dont la date n'est pas fixée. Pierre Jallatte est dépeint comme le patron idéal. "C'était un patron à l'ancienne, humain et juste, généreux aussi. Quand j'avais 14 ans, il venait nous chercher pour qu'on ne traîne pas dans les rues", dit Jean-François Anton. L'homme assure-t-on, ne mégotait pas les augmentations dans les périodes fastes, offrait colis de Noël et vacances aux ski à ses ouvriers. Il serait allé jusqu'à payer les dettes des ouvriers en difficulté, ou à commander une voiture pour l'épouse d'un de ses cadres muté dans une autre usine. Même en mai 1968, l'usine n'avait pas fait grève, raconte-t-on. Parti en retraite en 1983, Pierre Jallatte a toujours suivi de près son ancienne usine, dont le sort est à présent entre les mains de financiers américains, Bank of America et Goldman Sachs, entrés en 2005 dans le capital du groupe Jal.Jean-François Anton le croit, "son geste va contribuer à sauver notre entreprise". "C'est la première fois qu'on fait reculer les fonds de pension américains", dit-il. La société emploie au total 336 personnes dans ses deux usines et dans deux petits sites de Moselle et du Puy-de-Dôme.