Sommet pour la paix : "la Corée du Nord essaie de créer un rapport de force"

Le leader nord-coréen doit normalement rencontrer Donald Trump lors d'un sommet prévu le 12 juin à Singapour.
Le leader nord-coréen doit normalement rencontrer Donald Trump lors d'un sommet prévu le 12 juin à Singapour. © AFP
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Mathilde Belin , modifié à
Pyongyang a menacé mercredi d'annuler le sommet prévu avec Washington entre Kim Jong Un et Donald Trump. Une menace qui intervient après des mois de rapprochement diplomatique.

Après des mois de réchauffement diplomatique dans la péninsule coréenne, la Corée du Nord a menacé mercredi d'annuler le sommet prévu mi-juin à Singapour avec les Etats-Unis, si Washington contraignait le régime à renoncer à son arsenal nucléaire. Pyongyang a également annulé une rencontre de haut niveau avec la Corée du Sud pour protester contre des exercices militaires annuels en cours entre Séoul et Washington, qualifiés de "provocation". La menace de Pyongyang marque-t-elle un retour en arrière dans le processus de paix, ou Kim Jong Un tente-il un coup de bluff ?

De petites concessions de part et d'autre. Les experts s'accordent à dire à ce jour que cette menace ne met pas vraiment à mal les espoirs de paix mais signerait au contraire le début des négociations. "Les Nord-Coréens me semblent plutôt bons négociateurs. La négociation a bien sûr lieu autour de la table mais aussi avant la réunion", analyse pour Europe1.fr Pierre Rigoulot, historien spécialiste du régime communiste. "Cette menace est un élément de rapport de force qu'essaie de créer Pyongyang", complète-il.

Car la Corée du Nord a déjà fait quelques concessions avant la tenue du sommet, et attend en retour des gestes des Etats-Unis. Pyongyang a en effet libéré le 9 mai trois Américains détenus sur son territoire, mais a aussi annoncé le démantèlement de son centre d'essais nucléaires d'ici la semaine prochaine. De son côté, Washington, en échange de la dénucléarisation de la Corée du Nord, a promis de ne pas attaquer le régime et propose une aide économique au pays - ce qu'a refusé le régime. "Pyongyang a montré ses bonnes grâces. Les menaces (d'annuler le sommet) sont un premier geste d'humeur de Kim Jong Un. Il veut voir jusqu'où peut aller Donald Trump, il teste ses limites", disent des experts américains cités par le correspondant d'Europe 1 aux Etats-Unis, Xavier Yvon.

" Aucun ne veut être celui qui va rompre le processus de paix "

"Promesses contre promesses". "Ce ne sont que promesses contre promesses", nuance Pierre Rigoulot, sceptique sur la bonne foi des deux parties. "On ne peut pas dire que ce sont de véritables concessions de la part de la Corée du Nord (…) L'annonce du démantèlement de son centre d'essais nucléaires, on a déjà vu ça", illustre l'historien, en rappelant qu'en 2008, Pyongyang avait déjà détruit une tour de refroidissement de son complexe atomique de Yongbyon, dans un contexte (déjà) de négociations sur la dénucléarisation.

Selon l'historien, ces promesses sont avant tout le signe qu'aucun des deux dirigeants ne veut être celui qui va compromettre le processus de paix. "Tout le monde est obligé de se montrer contents mais personne ne l'est vraiment. Kim et Trump ne s'aiment pas, mais chacun veut avoir le visage de celui qui est favorable aux négociations", analyse-t-il.

Malentendu sur la dénucléarisation. Ce jeu de bluff entre les deux protagonistes se double d'une incompréhension sur la question de la dénucléarisation de la Corée du Nord, qui sera sans aucun doute au cœur du sommet du 12 juin : pour les Etats-Unis, il s'agit d'un démantèlement irréversible de l'arsenal nucléaire; alors que Pyongyang y voit plutôt un gel de la production et de la recherche. "Il y a comme un malentendu et donc rien n'a véritablement changé" sur le fond des négociations, poursuit Pierre Rigoulot.

D'autant que l'attitude de Donald Trump, qui a clamé haut et fort le succès de sa stratégie de sanctions et de pressions pour faire asseoir à la table des négociations la Corée du Nord, a irrité le leader nord-coréen, estime Joshua Pollock, de l'Institut Middlebury des études internationales, à l'AFP. Avec sa menace, Pyongyang cherche donc à recadrer les termes du débat, afin de faire changer la position américaine sur la dénucléarisation. En dépit de quoi, conclut Pierre Rigoulot, le sommet prévu dans un mois pourrait être véritablement compromis. Reste à Donald Trump de sortir, sinon un coup de bluff, un meilleur jeu de poker.

Un sommet pour rien ? Si la dénucléarisation de la Corée du Nord demeure techniquement possible, le régime restera une menace tant qu'un système totalitaire sera à la tête du pays, analyse par ailleurs Pierre Rigoulot, auteur de Pour en finir avec la Corée du Nord. "Les Nord-Coréens resteront capables de reconstruire la bombe nucléaire puisqu'ils ont les plans, ils savent comment faire. La Corée du Nord restera donc toujours un danger si elle reste ce qu'elle est, c'est-à-dire un régime totalitaire", affirme l'historien, qui appelle à un changement de régime. Mais la question d'une transition politique n'est pas à l'ordre du jour du sommet du 12 juin.