Saluts nazis et slogans anti-immigrés : récit d'un "jour de honte" à Chemnitz

  • Copié
, modifié à
Des milliers de sympathisants d'extrême droite se sont réunis lundi soir dans cette ville de Saxe, aux cris de "L'Allemagne aux Allemands, les étrangers dehors". La situation a rapidement dégénéré.

Ce devait être une marche funèbre, souligne le journal allemand Die Zeit. Mais la manifestation qui s'est déroulée lundi soir à Chemnitz, en Saxe, n'avait rien de solennelle. Deux jours après le meurtre d'un Allemand d'une trentaine d'années dans une rixe, pour lequel ont été arrêtés un Irakien et un Syrien, environ 2.000 sympathisants d'extrême droite ont réclamé que le gouvernement garantisse "la sécurité de ses citoyens", au cours d'un rassemblement qui a rapidement dégénéré. "Jour de Honte à Chemnitz", titre mardi le quotidien Bild, listant les violences et les slogans nazis recensés lors de la manifestation. Sur son site internet, Der Spiegel va plus loin, allant jusqu'à comparer les "foules excitées d'extrême droite" de Chemnitz et le caractère "dépassé" de l'État de droit à "la situation de la République de Weimar".

"La tradition plutôt que l'invasion". À l'initiative de plusieurs organisations dont le mouvement anti-islam Pegida et le parti local Pro-Chemnitz, qui compte trois élus au conseil municipal de la ville, les participants se sont réunis lundi en fin d'après-midi sur la place Karl Marx. Des reportages et vidéos amateurs réalisés sur les lieux montrent majoritairement de jeunes hommes au visage parfois masqué, portant des vêtements sombres. Mais aussi des femmes, comme une sexagénaire interrogée par Der Spiegel, venue manifester son désaccord "avec l'arrivée de tant d'étrangers". "Je me demande pourquoi mes impôts sont dépensés pour eux. Ils veulent tous être footballeur professionnel ou chanteur, mais quand on leur demande de porter des planches pendant une journée, ils ont mal au dos."

Sur les drapeaux et les t-shirts, des slogans sans équivoque : "la tradition plutôt que l'invasion" ou encore "nous sommes multicolores, jusqu'à ce que le sang coule". Au mégaphone, un jeune homme crie "vous êtes Allemands" et donne le départ du cortège. Selon Die Zeit, une partie des sympathisants présents sont alcoolisés. Certains montrent leur postérieur aux caméras présentes. En passant devant les forces de l'ordre, beaucoup leur adressent des doigts d'honneur. D'autres ne cachent pas leur volonté d'en découdre avec un cortège de quelques centaines de militants d'extrême gauche, venus soutenir les migrants. À l'image de cette réflexion d'un manifestant à un policier, rapportée par Der Spiegel : "envoyez les femmes à la maison, et ensuite : homme contre homme."

"L'Allemagne aux Allemands". La manifestation s'envenime vers 20 heures. Débordée, la police ne peut interpeller les auteurs de saluts nazis, dont certain ne dissimulent pas leurs visages. Des pavés sont arrachés, des bouteilles jetées sur les forces de l'ordre et le camp d'en face. Les engins pyrotechniques et projectiles font plusieurs blessés, mais les slogans ne cessent pas : "L'Allemagne aux Allemands, les étrangers dehors".

"Il y a quelques mois j'étais à Kandel, où une adolescente allemande s'est fait trucider par un réfugié afghan", témoigne auprès du Mondeun manifestant venu spécialement de Cologne pour le rassemblement. "Aujourd'hui je suis à Chemnitz, où un père de famille allemand s'est, fait, lui aussi, poignarder par des réfugiés. (...) Quand il s'agit de sauver son pays, il faut être prêt à tout." Vers 22 heures, la police annonce le retour au calme sur Twitter. Mais jusqu'à quand ? Une nouvelle manifestation est annoncée mardi après-midi à Dresde, voisine de Chemnitz et capitale de la Saxe, où l'extrême droite est fortement implantée. Elle y est arrivée en tête des dernières législatives en septembre 2017, créant un séisme politique en Allemagne.

Qui est à l'origine de ces rassemblements ?

Dimanche soir déjà, quelques centaines de militants d'extrême droite avaient lancé dans les rues de Chemnitz des "chasses collectives" contre des étrangers, dont plusieurs ont été blessés. "La droite radicale est un concept très large qui inclut à la fois des partis, comme l'AfD (Alternative für Deutschland, ndlr), des mouvements structurés, comme Pegida, et des milieux socio-culturels comme les hooligans et les néo-nazis", explique à Europe 1 Bénédicte Laumond, chercheuse et spécialiste de l'extrême droite en Allemagne. Selon elle, ces trois composantes sont particulièrement représentées en Saxe. "L'AfD y fait 25%, Pegida est né à Dresde, et historiquement, la région compte beaucoup de groupes néo-nazis."