Raphaël Pitti, médecin urgentiste en Syrie : "Si on veut voir le coût en vies de cette guerre, on atteint le million de personnes"

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A.D , modifié à
Médecin urgentiste spécialisé en médecine de guerre, Raphaël Pitti s’est rendu à plusieurs reprises en Syrie. Il dénonce l'utilisation de chlore et de bombes au phosphore et fait état d'une situation de précarité extrême généralisée.

Il est allé plus de quinze fois en Syrie et en revient tout juste. Raphaël Pitti, médecin urgentiste, était notre invité jeudi dans la matinale d'Europe 1, le jour même où Bachar Al-Assad était notre invité exceptionnel.

Chlore, bombes au phospore, hôpitaux ciblés. Le régime de Bachar Al-Assad est accusé d'avoir utilisé des bombes sales, des armes chimiques pour reprendre le contrôle de la ville d'Alep. Alors que le président du régime dément, Raphaël Pitti a pu constater sur le terrain l'utilisation de ces armes. "Ils ont surtout utilisé du chlore", ainsi que des "bombes au phosphore bien sûr, on le voit sur les vidéos". Le médecin confirme aussi les bombardements d'hôpitaux par le régime syrien. "Dans le banlieue de Damas, il y a encore un hôpital qui a été bombardé la semaine dernière, ainsi que le centre de la Croix-Rouge syrienne à Idlib".

"Situation très misérable". Le médecin ne va plus dans la zone ouest d'Alep qui est complètement fermée, "mais je vais dans la zone est où nous essayons d'ouvrir un nouveau centre. Nous avons formé plus de 7.000 personnes et nous avons un réseau d'informations. Ils nous disent que la situation est terrible parce qu'elle est très misérable. Les gens qui ont fui Alep sont allés dans la zone ouest. Ce sont 200.000 personnes que personne n'attendait, en plein hiver, qui sont abritées dans des écoles, des mosquées, chez l'habitant. Or, elles avaient subi un siège de cinq mois avec des bombardements constants. Ces personnes étaient dénutries. Certains essayent de revenir à Alep est mais tout est sous les décombres", décrit l'urgentiste.

"Les cadavres dans les décombres". Le cessez-le-feu entré en vigueur au mois de décembre ne change rien, selon lui. "Il n'y a personne, aucune aide possible, pas d'eau potable, pas d'électricité, ni de soins, ni de chauffage. Il y a encore des cadavres dans les décombres. Il y a les pillages. Les hommes ont peur de revenir, ils sont soit intégrés dans l'armée du régime soit arrêtés. Un chirurgien que je connais a été arrêté, il n'est toujours pas réapparu", décrit le médecin. La guerre, qui dure depuis 2011, a fait 310.000 morts d'après l'observatoire des droits de l'Homme. Ce chiffre est à porter à la hausse pour le médecin. "Il y a  une destruction du système sanitaire depuis cinq ans. Toutes les pathologies chroniques ne sont pas prises en charge. Si on veut voir le coût en vies de cette guerre, on atteint le million de personnes."

Avec ces morts, ces blessés, ces déplacés, les Syriens sont aujourd'hui "résignés et déprimés", souligne le médecin. "La situation n'en finit pas. Ils vivent dans les décombres, dans la misère. C'est ce qui dû se passer à Berlin après la Guerre."