Les "tueurs du Brabant" : vers le dénouement d'une des plus grandes énigmes policières du 20e siècle ?

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Les forces de l'ordre, qui enquêtent depuis 30 ans sur les "tueries du Brabant", pourraient avancer grâce au témoignage révélé lundi. Image d'illustration © Capture d'écran.
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Trente ans après, un ultime témoignage relance le débat autour des sanglants braquages qui ont visé le centre de la Belgique dans les années 1980.

Lundi, un nouveau coup de théâtre a eu lieu dans une des plus grandes énigmes policières du 20e siècle : les tueries du Brabant, une série de braquages qui a fait 28 morts en Belgique au début des années 1980. Alors que les trois auteurs de ces méfaits n'ont jamais pu être identifiés, un témoignage vient en effet de relancer l'enquête. Les proches des victimes tuées ou blessées attendent beaucoup de cet énième rebondissement. A quoi peuvent-ils s'attendre ? Europe 1 revient pour vous sur ces faits divers qui restent encore gravés dans la mémoire belge.

Ultime révélation sur un lit de mort. Trente ans après les faits, la cellule d'enquête de la police judiciaire belge, consacrée aux "Tueries du Brabant", va avoir à nouveau de la matière à travailler. Lundi en effet, la justice belge a assuré prendre "très au sérieux" une piste rapportée il y a quelques mois aux enquêteurs, celle d'un homme ayant recueilli les dernières paroles de son frère, ancien gendarme mort en 2015. Sur son lit de mort, il aurait révélé être "le géant", le surnom donné par la presse au leader de cette bande de trois braqueurs. Une révélation qui est un vrai big bang en Belgique où les "tueurs fous du Brabant" n'ont jamais été identifiés malgré la gravité des faits qui leur sont reprochés.

A visage découvert. C'est à partir d'août 1982 et jusqu'à la fin de l'année 1983 que "le géant", "le tueur" et "le vieux", comme les médias de l'époque les surnommaient, s'en prennent à des supermarchés, une armurerie, une bijouterie mais aussi des auberges et à une usine. La majorité de leurs méfaits ont être commis dans le Brabant, au centre de la Belgique. Au départ, il ne s'agit que de modestes braquages, comme celui du 13 août à Maubeuge, en France, à quelques kilomètres de la frontière belge, où ils s'attaquent à une petite épicerie sans faire de victimes. Lors de leur braquage suivant, celui d'une armurerie à Wavre en Belgique le 13 septembre 1982, un degré dans la violence est déjà franchi. Les braqueurs, qui ont l'audace de se présenter dans le magasin à visage découvert, abattent un gendarme à bout portant et en blessent deux autres qui les poursuivaient en voiture.

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Tirer pour tuer. Plusieurs supermarchés de l'enseigne Delhaize sont ensuite visés. L'attaque du 3 mars notamment frappe encore l'opinion publique par sa cruauté. Le gérant y est tué d'une balle en pleine tête. La violence et la détermination dont font preuve les braqueurs déstabilisent les enquêteurs. Les malfrats  tirent en effet pour tuer et sans hésitation sur les personnes qui se trouvent sur leur chemin. Ils torturent même une de leurs victimes lors du braquage d'une auberge avant de l'exécuter. Un assassinat leur est enfin imputé par les enquêteurs, sans lien apparent avec un braquage : celui d'un chauffeur de taxi d'origine grecque en décembre 1982.

Trois morts pour des bidons d'huile. Un paradoxe interpelle aussi les enquêteurs et l'opinion publique : la plupart des attaques ne débouchent que sur de maigres butins. Le 17 septembre 1983, en pleine nuit, ils dévalisent l'entrepôt d'un supermarché. Pour repartir avec quelques bidons d'huile et quelques paquets de de café et de chocolat, ils tuent trois personnes : un couple de passage qui les surprend sur le fait ainsi qu'un gendarme venu sur les lieux après avoir été alerté par une alarme. La même nuit, ils vont même jusqu'à tendre une embuscade aux gendarmes qui les poursuivent.

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Les pistes sont brouillées. La psychose, elle, s'empare des Belges. Malgrè des rondes de gendarmes autour des magasins et la présence de tireurs d'élite sur les toits des supermarchés Delhaize, la peur s'installe durablement. L'arrestation de plusieurs suspects en octobre 1983 n'apporte qu'un court soulagement dans le pays. Ils sont finalement acquittés en cours d'assises faute d'éléments probants contre eux. De plus, un braquage a lieu alors qu'ils sont encore en détention. Une bijouterie est en effet attaquée en plein jour à Anderlues le 1er décembre. Le patron et sa femme sont immédiatement abattus. Or, les "tueurs fous" emmènent avec eux des objets sans valeur, laissant sur place les pierres précieuses et les bijoux en or. Le mystère s'épaissit encore plus dans l'esprit des enquêteurs. Le vol est-il vraiment le mobile de l'attaque ? Les deux victimes ont-elles un lien avec les victimes précédentes ?

Équipée sauvage dans trois supermarchés. Pendant presque deux ans, la terrible bande cesse ses activités. C'est en 1985 qu'ils re-surgissent aussi vite qu'ils avaient disparu en 1983. Le 27 septembre, ils attaquent coup sur coup deux supermarchés Delhaize. Le 9 novembre, un troisième établissement est visé. Cette vague est particulièrement sanglante. Les braqueurs tirent sur tout ce qui bouge, même si leurs cibles sont inoffensives. Ainsi, deux employées, qui n'ouvraient pas leur caisses assez vite, sont abattues d'une balle dans la tête. Les plus jeunes ne sont pas épargnés : deux adolescents de 12 et 14 ans ainsi qu'un enfant de 9 ans sont froidement tués. Un enfant de 10 ans qui a le malheur de croiser le regard d'un des braqueurs se prend une balle dans la tête. Là encore, les butins sont minimes. Et une fois de plus, les tueurs prennent la fuite à bord d'une puissante Golf GTI, plus rapide que les voitures des gendarmes. Plus jamais ils ne referont parler d'eux. Selon les enquêteurs, il est possible que, lors du dernier braquage, "le tueur" ait été mortellement touché par un tir des forces de l'ordre, mettant fin aux actions de la bande. 

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Des bandits ? Un psychopathe ? Si aujourd'hui, les braqueurs, qui ont à leurs actifs 17 actions armées, n'ont toujours pas été identifiés, plusieurs pistes ont été explorées... en vain : celle du grand banditisme, puis celle d'une bande influencée par un psychopathe ont été explorées avant d'être mises de côté.

La piste de l'extrême-droite bientôt confirmée ? La piste terroriste, un temps mise en avant mais aussi vu comme tabou, revient au goût du jour aujourd'hui avec les dernières révélations faites lundi par la justice belge. Christiaan B., l'ancien gendarme mort en 2015 et qui a assuré être "le géant", faisait en effet partie du "Groupe Diane", une unité d'élite des forces de l'ordre. Ce groupe, dissous aujourd'hui, est depuis longtemps au coeur de l'enquête. Plusieurs de ses membres étaient réputés proches de l'extrême droite belge et ils auraient pu, par le biais des "Tueurs du Brabant", mener une entreprise de déstabilisation de l'Etat belge dans les années 1980.

Car si les "tueurs du Brabant" ne se sont jamais fait prendre, c'est qu'ils ont toujours fait preuve d'un grand professionnalisme, dans l'effacement des indices notamment. Et plusieurs gendarmes qui ont eu à faire aux trois braqueurs l'ont affirmé dans leurs témoignages : il ne peut s'agir que de collègues au vu de la manière dont ils manient leurs armes. Les forces de l'ordre ont pu aussi constater à plusieurs reprises la technique avancée avec laquelle les braqueurs conduisaient leur véhicule lors de leur fuite, une technique qui était enseignée aux gendarmes eux-même pour être plus efficace lors des courses poursuites. Enfin, les braqueurs parvenaient toujours à déjouer les plans de surveillance des gendarmes autour des supermarchés, comme s'ils avaient eu accès à des informations internes aux forces de l'ordre.

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Christiaan B., connu des enquêteurs depuis 1999. Christiaan B. n'est, lui, pas un inconnu. Selon le média belge Het Nieuwsblad, son nom est déjà apparu dans l'enquête en 1999, après la diffusion d'une deuxième série d'affiches présentant des portraits-robots des présumés tueurs. Plusieurs signalements avaient alors pointé la ressemblance entre "le géant" et l'ancien gendarme du groupe Diane. Le témoignage de son frère pourrait-il mener à un dénouement ? Pas forcément, juge, sur le site du Soir, le député Hugo Coveliers, membre de la première commission parlementaire consacrée à ces sanglants faits divers : "l’homme est décédé depuis et puisque les Tueurs du Brabant ont pu opérer selon différentes compositions, c’est surtout important de découvrir qui coordonnait et son mobile". Le responsable politique, qui rappelle qu'évoquer le rôle de la gendarmerie dans les "tueries" était très mal vu dans le passé, demande les "davantage d'ouverture" aux institutions : "les enquêteurs qui, au fil du temps, ont eu le sentiment que leurs activités ont été entravées doivent se faire connaître". La récompense promise par l'enseigne Delhaize, elle, tient toujours : 250.000 euros pour toute personne fournissant une information pouvant déboucher sur l'identification des "tueurs". La date butoir de l'enquête est située en 2025, lorsque les faits seront prescrits.