Le "syndrome de Paris", mystérieux mal des Japonais

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Sophie Amsili et Carole Ferry , modifié à
Déçus par la réalité de la capitale,  une vingtaine de Japonais sont victimes de ce trouble chaque année.

Le phénomène est marginal mais il est bien réel : chaque année, le "syndrome de Paris" touche une vingtaine des Japonais installés dans la capitale française. Identifié dans les années 1980 par le Dr. Hiroaki Ota, psychiatre japonais qui exerçait à l'hôpital Sainte-Anne à Paris, ce trouble est lié à un choc culturel, une forte déception qui peut engendrer jusqu'à la dépression.

Pourquoi un tel choc ? Où est le Paris des cartes postales, capitale du romantisme et du luxe, ou celui d'Amélie Poulain ? Lorsqu'ils arrivent dans la capitale, certains Japonais rêvant de cette ville merveilleuse découvrent que toutes les maisons ne sont pas rutilantes, toutes les rues propres et tous les habitants sveltes et bien habillés. Plongés dans le quotidien parisien, la désillusion est grande pour certains. Ainsi, une des premières choses que Sayaka, 28 ans, a vu en arrivant en France il y a un mois, est un pickpocket à l'œuvre. Un choc pour cette Japonaise qui a choisi de venir travailler à Paris dans une agence de voyage. "J'ai aussi vu des gens qui jettent leurs mégots par terre après avoir fumé, c'est inhabituel pour un Japonais", souligne-t-elle au micro d'Europe 1.

tour eiffel, paris

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"Des personnalités fragiles". Si Sayaka parvient à s'accommoder de ces différences culturelles, quelques-uns de ses compatriotes ne surmontent pas le choc. Le "syndrome de Paris" frappe en particulier les femmes, les jeunes de moins de trente et ceux qui sont installées à Paris pour plusieurs mois, voire plusieurs années. "Le Dr. Ota avait remarqué qu'au moins un patient sur trois avait déjà des antécédents psychologiques au Japon", souligne pour Europe 1 le Dr. Alain Stern, chef du service psychiatrie à l'hôpital américain de Paris. "Ce sont des personnalités fragiles qui croient dans ce Paris merveilleux."

Surviennent alors des "signes dépressifs, de l'anxiété, une perte de l'estime de soi brutale, un sentiment de déréalisation, d'étrangeté", liste le Dr. Stern. "Ces jeunes Japonais sont perdus. La déception active chez eux ce sentiment d'échec, de frustration. Ils se mettent à déprimer comme on pourrait le faire devant un deuil : c'est le deuil d'une image idéalisée."

Pourquoi le Japon ? Les Japonais sont particulièrement vulnérables car "leur pays s'est culturellement ouvert à l'Occident au XIXe siècle", note le Dr. Stern, à l'époque où l'image véhiculée de Paris, "c'était Versailles, Montmartre et le Moulin Rouge". En outre, "leur culture et leur langue sont tellement différentes que le choc culturel est très important", à commencer par le code de politesse : au Japon, "on ne contredit pas son interlocuteur, on ne coupe pas la parole à l'autre", poursuit le Dr. Stern. "Or, les Parisiens ont le verbe haut, manient facilement la blague, estiment ouvertement leur ego, contestent, râlent…"

Mais cette incapacité à surmonter un choc culturel ne concerne pas que les Japonais à Paris. Des "syndromes du voyageur" ont par exemple été identifiés à Jérusalem et à Florence où ce sont respectivement les sites religieux et l'abondance d'œuvres qui provoquent des troubles psychiques auprès de certains visiteurs.

De mieux en mieux pris en charge, le "syndrome de Paris" est même anticipé par les sociétés japonaises qui mutent des employés en France. Pour les visiteurs qui développeraient ce trouble sur place, le traitement le plus efficace est toutefois radical : quitter Paris et retourner dans leur pays.