La Tchétchénie accusée de persécuter et torturer des homosexuels

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Le président Kadyrov est accusé de mener une politique répressive à l'égard des homosexuels. © NATALIA KOLESNIKOVA / AFP
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Mathilde Belin , modifié à
Une centaine de personnes auraient été arrêtées et torturées en Tchétchénie pour leur supposée homosexualité, et trois d’entre elles auraient même été tuées.

Traquées, arrêtées, torturées et détenues à l’isolement dans des prisons tenues secrètes : une centaine de personnes, considérées comme homosexuelles, ont fait l’objet d’une vague massive de répression en Tchétchénie depuis plusieurs semaines, selon les informations du journal d’opposition russe Novaïa Gazeta, relayées par Courrier international début avril. Au moins trois personnes auraient ainsi trouvé la mort, mais des témoins assurent qu’il y a en aurait beaucoup plus.  

Des hommes battus et électrocutés. L’association française Inter-LGBT a relayé auprès d'Europe1.fr mardi ces informations, s’appuyant sur deux ONG locales qui ont notamment recueilli des témoignages de rescapés. Selon Novaïa Gazeta, les détenus - des hommes de 16 à 50 ans - sont rassemblés par dizaines dans une même pièce : ils sont alors battus toute la journée, électrocutés, humiliés. L’objectif est de les contraindre à dénoncer d’autres homosexuels de leur entourage. Parmi ces détenus, certains ont été libérés contre une rançon ou faute de preuve, et d’autres ont réussi à fuir.  

Un 'camp de concentration'. Le journal russe a diffusé des photos de deux hommes présentant des traces de torture : "Plusieurs fois par jour, nous avons été passés à tabac", racontent-ils. Arnaud Gauthier-Fawas, délégué international de l’Inter-LBGT, détaille à Europe1.fr : "C’est une vague de répression massive avec des tortures électriques, les geôliers rackettent les détenus pour les nourrir… Les réseaux sociaux sont aussi passés au peigne fin pour traquer les homosexuels. On n'a jamais rien eu de tel en Russie ces dernières années. Il faudrait sinon remonter aux goulags à l’époque de l’URSS", insiste-il. Un camp de prisonniers homosexuels, assimilé à un camp de concentration, aurait même été localisé en banlieue de la capitale tchétchène, dans la ville d’Argoun, dans une ancienne caserne militaire.

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Crédit : Google Maps

Un "nettoyage préventif". Selon Novaïa Gazeta, cette vague de répression, organisée par les autorités politiques tchétchènes, envers la communauté LBGT a débuté fin mars. Mais pour l’Inter-LBGT, elle a en réalité commencé il y a "quelques mois", depuis le début de l’année 2017. Elle ferait suite aux démarches entreprises par des militants LBGT d’organiser des Gay Prides dans le Caucase du Nord, soulevant ainsi une vague de protestation dans cette région très croyante, à majorité musulmane, où l’homosexualité est honnie. "C’est à partir de ce moment que fut donné l’ordre d’entreprendre un 'nettoyage préventif'", indique Novaïa Gazeta.

" "Cette campagne anti-gays a été coordonnée par l’État" "

L'association LGBT "Gay Russia sait que les Gay Prides sont illégales (dans le Caucase du Nord, ndlr). L’objectif était de recueillir les refus, pour constituer un dossier juridique et porter plainte auprès de la Cour européenne des droits de l’Homme", précise toutefois Arnaud Gauthier-Fawas. En Tchétchénie comme en Russie, l’homosexualité est légale mais son expression publique est censurée depuis une loi de 2013.

Une "totale impunité". "L’homophobie est soutenue par l’État, les manifestations anti-gays sont encouragées, et les crimes contre les homosexuels se font dans une totale impunité", explique à Europe1.fr Anne Nerdrum, en charge des questions sur la Russie à Amnesty France, qui assure que "cette campagne anti-gays a été parfaitement coordonnée par les services de l’État". Les homosexuels "ne trouvent pas de travail, ils sont tabassés. Ils sont parfois tués par leur propre famille qui ont un sentiment de honte…", poursuit-elle.

Après la publication de l’enquête de Novaïa Gazeta, la classe politique et la société civile tchétchènes ont nié "l’existence même de l’homosexualité en Tchétchénie" pour se défendre de toute répression massive. "C'est impossible de persécuter des gens qui ne sont pas dans la République", a objecté le président Ramzan Kadyrov, cité par le média d'État Russia Today. Pour Anne Nerdrum, cette "rafle" permet au président d’affirmer son autorité : "Il veut punir ce qui est contre-nature et, sur cette question de l’homosexualité, il a l’approbation de la population."