L'Egypte dans la "3e phase des révolutions arabes"

L'ex-président égyptien Hosni Moubarak, renversé par une révolte populaire début 2011, a quitté jeudi sa prison et est désormais assigné à résidence dans un hôpital militaire du Caire, avant la reprise dimanche de son procès pour meurtre de manifestants.
L'ex-président égyptien Hosni Moubarak, renversé par une révolte populaire début 2011, a quitté jeudi sa prison et est désormais assigné à résidence dans un hôpital militaire du Caire, avant la reprise dimanche de son procès pour meurtre de manifestants. © Reuters
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Charles Carrasco avec Pierre de Vilno et Mathieu Charrier , modifié à
INTERVIEW - Après la libération de Moubarak, Gilles Kepel, spécialiste du monde arabe, craint une radicalisation.

L'INFO. L'Egypte est-elle en train de faire machine arrière ? Alors que l'ex-président élu puis destitué, Mohamed Morsi est toujours en détention, son prédécesseur, Hosni Moubarak, également renversé par la révolution de 2011, a été remis en liberté conditionnelle. L'ex-raïs est assigné à résidence dans un hôpital militaire du Caire jusqu'à la reprise de son procès dimanche.

>>> Quelles sont les conséquences de cette libération et des derniers événements au Caire ? Éléments de réponses avec Gilles Kepel*, spécialiste du monde arabe.

• Quelle est la portée de la libération de Moubarak ?

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C'est énorme. Je viens d'appeler des amis égyptiens qui m'ont raconté cette blague : il y a un surpeuplement des prisons en Egypte donc il fallait faire de la place pour mettre Morsi dans une cellule. On a sorti Moubarak pour qu'il n'y ait qu'un seul président en même temps en prison. Cela permet de mesurer la distance des choses. Au fond, nous sommes dans la troisième phase des révolutions arabes. Celles-ci avaient pour symbole la mise à l'écart de Ben Ali (Tunisie), de Moubarak et de Kadhafi (Libye). La deuxième phase est la victoire des Frères musulmans aux élections, puis ces situations de gabegie, de chaos, et cette espèce de rupture : la grande manifestation du 30 juin qui a provoqué la chute de Morsi. Et maintenant, après la semaine sanglante qui a vu au moins un millier de morts parmi les Frères musulmans qui faisaient des sit-in, la libération de Moubarak.

• L'armée reprend le pouvoir. Moubarak est libéré. Cette révolution a-t-elle servi à quelque chose ?

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C'est la question que tout le monde se pose. Est-ce que ce troisième moment est la fin ? Une autre blague qui court en Egypte est la suivante : ElBaradei (ancien négociateur sur le nucléaire et ex-vice président du gouvernement intérimaire, ndlr) est à Vienne, Moubarak est libre et les Frères musulmans sont en prison, soit un retour à 2010 avant les 18 jours de la révolution. En fait, ce n'est probablement pas le cas. Ça en a l'air mais c'est la population qui est descendue dans la rue. Si le général al-Sissi (le chef de l'armée, ndlr) a pu réprimer les Frères musulmans et sortir Moubarak, c'est qu'il y a eu une gigantesque manifestation le 30 juin. Est-ce que la population égyptienne va simplement s'accommoder du retour des militaires au pouvoir ou au contraire, est-ce que ceux-ci vont être contraints à un compromis avec leur base électorale populaire. Quels types de deal vont-ils proposer aux Frères musulmans ? Ces questions se posent.

Ces événements vont-t-ils renforcer les Frères musulmans

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On peut l'imaginer. Tout va dépendre ce qui va leur être proposé. Si on libère Moubarak et qu'on continue simplement à taper sur les Frères musulmans, on peut imaginer que, parmi ceux-ci, les groupes les plus radicaux, qui ont pris le maquis durant le mandat de l'ex-raïs dans les années 90 et dont un certain nombre tiennent aujourd'hui la péninsule du Sinaï (des policiers ont été tués à cet endroit cette semaine, ndlr), vont se remettre à la lutte armée. Si les nouveaux gouvernants égyptiens veulent démontrer leur capacité à remettre le pays sur les rails -ce qui va être difficile malgré le fait que l'Arabie saoudite a donné, avec ses alliés du Golfe, plus de 12 milliards de dollars- il faudra arriver à une forme de paix civile. On n'en n'est pas encore là. C'est le moins que l'on puisse dire.

*Gilles Kepel, Passion arabe, Gallimard.