Brexit : partie de poker menteur entre les banques de la City et le gouvernement de Theresa May

Theresa May veut se laisser la plus grande marge de manœuvre possible pour négocier le Brexit.
Theresa May veut se laisser la plus grande marge de manœuvre possible pour négocier le Brexit. © DANIEL LEAL-OLIVAS / AFP
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Clément Lesaffre , modifié à
Theresa May serait prête à abaisser l'impôt des sociétés à 10% pour convaincre les banques internationales de la City de renoncer à leurs velléités de déménagement.

Jusqu'où le gouvernement britannique est-il prêt à aller pour tirer avantage du Brexit ? Dans sa partie de poker menteur avec l'Union européenne et la City, Theresa May serait prête à abattre la carte de la guerre fiscale. Interrogé par le Sunday Times, un proche conseiller de la Première ministre à Downing Street lance une menace à peine voilée contre l'UE : "Nous avons quelques bonnes cartes à jouer s'ils durcissent le ton. S'ils disent non au passeport (financier, ndlr) et instaurent des droits de douane élevés, alors on peut ramener l'impôt sur les sociétés à 10%." Et le quotidien britannique de qualifier cette mesure d'"option nucléaire" des négociations. Une comparaison judicieuse : cinq mois avant le début de la procédure de sortie, la baisse de l'impôt sur les sociétés apparaît plus comme une tactique d'intimidation que comme un véritable levier d'action pour le gouvernement.

Peu avantageux pour le Royaume-Uni. Actuellement, le taux d'imposition des sociétés britannique s'établit à 20%, parmi les plus bas d'Europe mais bien au-dessus des 12,5% du champion irlandais, souvent critiqué. Taux qui devrait passer à 17% d'ici 2020, décision actée par le gouvernement de David Cameron. Avant son départ, l'ancien Chancelier de l’Échiquier et ministre des Finances, George Osborne, avait envisagé un abaissement du taux en dessous de 15%. Or, son successeur Philip Hammond a affirmé que rien ne serait fait dans ce sens. On voit donc mal pourquoi Theresa May déciderait subitement de baisser de sept points le taux d'impôt sur les sociétés. D'autant que selon l'organisme patronal Institute of Directors, la division par deux du taux de l'impôt sur les sociétés pourrait coûter au budget entre 10 et 15 milliards de livres de recettes fiscales.

Un message aux banques. Le plus probable est que le conseiller de la Première ministre cherche avant tout à envoyer un message, à l'Union européenne certes, mais surtout aux entreprises basées en Angleterre, notamment les banques. En effet, la City commence à s'agiter en vue du Brexit. La sortie de l'Union européenne risque de rimer avec perte du passeport européen (voir encadré). Une perspective qui effraie les banques et établissements financiers internationaux installés à Londres. Jusqu'ici, le passeport financier leur permettait de bénéficier de la réglementation fiscale avantageuse de la City tout en opérant sur l'ensemble des marchés européens. Mais avec le Brexit, ce système pourrait prendre fin. Opérer depuis Londres serait alors impossible pour de nombreux établissements. Avec à la clé, de probables migrations vers le Vieux Continent.

Les banques font leurs cartons. Anthony Browne, patron de l'Association des banques britanniques a lancé un avertissement dans une tribune publiée par The Observer. "La plupart des banques internationales ont déjà mis en place des équipes qui réfléchissent aux opérations qu'elles devront transférer (dans l'Union européenne, ndlr) pour assurer la continuité de leurs services aux clients. Beaucoup de petites banques envisagent de débuter leur relocalisation avant Noël. Les plus grosses devraient commencer au premier trimestre 2017". On parle ici de transferts de grande ampleur. Selon Le Monde, la banque d'affaires américaine Goldman Sachs hésite entre Paris et Francfort pour transférer 1.000 à 2.000 emplois actuellement basés à Londres.

Coup de pression. Là encore, de telles déclarations ne sont pas dénuées d'intérêt politique. En affirmant préparer leur départ, les banques mettent la pression sur le gouvernement. Un transfert d'activité vers Francfort, Paris ou Milan serait coûteux : outre les frais liés à la délocalisation, dans les trois pays visés, l'impôt sur les sociétés dépasse les 30%. Logiquement, les établissements financiers ont donc tout intérêt à rester à Londres, où la régulation fiscale est aussi plus souple. De même, le gouvernement britannique gagnerait à inciter les sociétés financières à rester : dans le domaine de la gestion d'actifs, 1.200 des 5.500 milliards de livres gérés outre-Manche le sont pour des clients de l'Europe continentale. Un exode massif des banques serait un gros coup dur pour le Royaume-Uni.

Le passeport financier européen, précieux sésame

Ce document permet à une entreprise de vendre des produits financiers dans l'Union européenne, tout en restant soumise à la régulation d'un seul, celui dans lequel elle est installée. En réalité, il existe plusieurs passeports financiers. D'abord en fonction de la structure : assurance, fonds d'investissement, banque... L'entreprise demande ensuite un passeport pour chaque pays où elle veut accéder au marché financier. Actuellement, 5.500 entreprises britanniques détiennent 336.000 passeports financiers. Mais en quittant l'UE, le Royaume-Uni risque bien de perdre le passeport européen.

Pas parti pour garder le passeport financier. Pourtant, il existe bien une possibilité : rester dans l'Espace Economique Européen (EEE). Cet ensemble regroupe les 28 membres de l'UE, ainsi que la Norvège, le Liechtenstein, l'Islande et, provisoirement, la Croatie. L'un des avantages pour les pays non-membres de l'UE mais inclus dans l'EEE : le passeport financier. Mais l'une des conditions pour faire partie de l'EEE est la libre-circulation des personnes venant de l'UE, une option que Theresa May rejette. Résultat, en quittant le Marché unique et l'EEE, les chances pour le Royaume-Uni de conserver le passeport européen apparaissent bien minces.