Allemagne : comment la Saxe est devenue un bastion de l'extrême droite

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Quelque 2.500 personnes ont manifesté dimanche soir dans l'est de Allemagne à l'appel de l'extrême droite. © Odd ANDERSEN / AFP
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avec AFP , modifié à
Terreau des franges politiques les plus radicales depuis les années 1990, la région de l'est voit se succéder les manifestations anti-demandeurs d'asiles depuis deux semaines.
ON DÉCRYPTE

"Résistance, résistance" ou "National-socialisme, maintenant, maintenant, maintenant !". Légèrement différents mais toujours anti-migrants, voire proches de l'idéologie nazie, les slogans retentissent désormais dans les rues de Saxe depuis plus de deux semaines. Dans cette région de l'est de l'Allemagne, la mort d'un homme, dans laquelle plusieurs demandeurs d'asile irakiens et syriens sont mis en cause, a mis le feu aux poudres, fin août. L'extrême droite s'est saisie de cet homicide pour organiser plusieurs défilés dont certains ont été émaillés de violences et de saluts nazis, mais aussi des "chasses aux migrants" dans les rues de la ville de Chemnitz. Dimanche, une bagarre impliquant deux Afghans et dans laquelle un jeune Allemand a trouvé la mort a servi de prétexte à une nouvelle manifestation à Köthen, une centaine de kilomètres plus au Nord. La mobilisation relance le débat sur l'immigration outre-Rhin, mais aussi sur l'ampleur de la mouvance d'extrême droite  en Saxe.

Trente ans de précédents. Car dans cette région d'ex-RDA, le problème ne date pas d'hier. En 2016, des sympathisants d'extrême-droite ont violemment pris à partie un bus transportant des réfugiés à Clausnitz, non loin de Dresde, capitale politique de la province. Non loin de là, à Bautzen, des centaines de personnes ont été filmées applaudissant et fêtant l'incendie d'un bâtiment devant servir à l'accueil de réfugiés. Des exemples postérieurs à la mise en place de la politique d'accueil d'un million de demandeurs d'asile par Angela Merkel, en 2015 ? Pas tous. Dès 1991, peu après la réunification, des hooligans s'en étaient pris pendant plusieurs jours à un foyer de réfugiés de Hoyerswerda, sous les applaudissements des riverains. Plus de 200 étrangers avaient dû être évacués sous escorte policière.

"L'extrême droite s'est toujours focalisée sur la question de l'autre", analyse Bénédicte Laumond, chercheuse et spécialiste du sujet, interrogée par Europe 1. Mais pourquoi est-elle particulièrement présente dans cette région de 4,1 million d'habitants, dont seulement 4,4% d'étrangers - contre 15% dans certaines provinces d'ex-RFA ? Les raisons, multiples, sont d'abord économiques. Après la réunification, la Saxe a connu un exode de ses forces vives : près de 750.000 départs, soit "une génération complète", selon la ministre saxonne de l'Intégration, Petra Köpping, interrogée par le Süddeutsche Zeitung. Parmi ceux qui restent, beaucoup ont témoigné dans les médias allemands de leur sentiment d'être des citoyens de seconde zone, avec un niveau de vie inférieur à celui de l'Ouest du pays. "Le choc de 1989 a engendré une perte d'identité, qui s'est refermée sur l'Allemagne de l'Est", analyse pour RFI Emmanuel Droit, professeur d'histoire contemporaine à Sciences Po Strasbourg. "L'extrême-droite a pu prospérer sur ce terrain."

Une conjonction de facteurs."Dans le milieu scientifique, la droite radicale est définie comme un concept très large, qui inclut à la fois des partis, comme l'AfD (Alternative pour l'Allemagne, ndlr), des mouvements structurés, comme Pegida (Patriotes européens contre l'islamisation de l'Occident, ndlr),  et des milieux socio-culturels comme les hooligans et les néo-nazis", décrypte Bénédicte Laumond. "Or, en Saxe, on assiste à une conjonction des trois facteurs". Seule région à compter des députés néonazis au sein de son Parlement de 2004 à 2009, la Saxe est aujourd'hui le pays où l'AfD représente la plus large part de la population (27%). Les manifestations des fondateurs de Pegida y ont rassemblé jusqu'à 25.000 personnes après les attentats de janvier 2015 en France. Et à proximité des frontières avec la Pologne et la République Tchèque, corporations d'étudiants, activités musicales et clubs de hooligans alimentent la mouvance de droite radicale de manière officieuse depuis trente ans.

"Il existe, notamment à Chemnitz, des liens très étroits avec les camaraderies d'extrême droite et des groupes de sport de combat, ce qui leur permet de mobiliser très rapidement pour des rassemblements", confirme à France 24 Robert Claus, spécialiste allemand du hooliganisme.

"Aucune mesure n'a été prise". Pourquoi l'État régional n'a-t-il pas pris le problème à bras le corps jusqu'ici ? "C'est le cœur du problème", estime Bénédicte Laumond. "Le gouvernement fédéral a du mal à reconnaître qu'il y a un souci", note la spécialiste, citant l'exemple de Kurt Biedenkopf, dirigeant de la province de 1990 à 2002, qui s'est tenu à un discours selon lequel la Saxe était "immunisée" contre l'extrémisme de droite. "Résultat : aucune mesure importante n'a été prise, contrairement à la Rhénanie du Nord ou à la Bavière, par exemple." La police, qui dépend du gouvernement fédéral, fait également l'objet de vives critique. À Dresde, les forces de l'ordre ont récemment été accusées de collusion avec l'extrême droite après l'interpellation d'une équipe de la télévision, qui filmait une manifestation.

Des évolutions sont-elles envisageables ? "La police fédérale peut par exemple faire appel au renfort de la police nationale", avance Bénédicte Laumond. Mais si la loi allemande prévoit la dissolution de mouvements néo-nazis, elle ne permet pas d'interdire la tenue d'une manifestation en amont. "Les juges sont très attachés à la liberté d'expression, on peut seulement mettre en place un encadrement très précis". En avril dernier, un festival de "musique", s'est ainsi tenu le jour de la naissance d'Hitler dans la ville de Saxe d'Ostritz. Baptisé "le bouclier et l'épée" ("Shiled and Sword", correspondant aux initiales SS), il n'avait, selon ses organisateurs, aucun lien avec l'idéologie nazie.