Tiananmen : comment le web contourne la censure

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Charles Carrasco , modifié à
INTERVIEW - Les internautes chinois ont trouvé quelques parades pour se recueillir malgré une forte censure.

"Aujourd'hui est le 4 juin 2013". Cette simple phrase est, mardi, totalement interdite en Chine. Alors que les Chinois commémorent le 4 juin 1989, la date où le Parti communiste a envoyé les chars pour mater le mouvement démocratique de la place Tiananmen à Pékin et fait des centaines, voire des milliers de morts, la censure fait rage sur la Toile. Pour autant, cette mémoire collective reste vive. Et les Chinois ont trouvé quelques parades pour se "recueillir" symboliquement sur les réseaux sociaux.

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Comment marche la censure ? Cette année, la censure poursuit sa sophistication. Il y a la censure "a priori", une sorte de "liste noire" : certains mots clés, comme "Tiananmen" ou "Dalaï-Lama" sont rigoureusement interdits. Si vous mettez ces termes dans l'un de vos posts, il n'est pas publié sans qu'il y ait une intervention humaine. Puis, il y a une deuxième liste de mots sensibles : en cas d'entrée d'un de ces mots sur votre clavier, "cela va allumer un feu orange dans leur logiciel" et un modérateur va vérifier s'il doit supprimer ce post, explique Renaud de Spens, sinologue et spécialiste du web chinois, joint par Europe1.f. "Il y a aussi la combinaison des chiffres 'six' pour le mois de juin et 'quatre' pour le jour qui est surveillée. Du coup, certains internautes s'amusent à faire des combinaisons avec 'trois plus trois'", renchérit le sinologue.

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Tiananmen : "le régime est crispé"par Europe1fr

Quelles parades ?

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Un canard à la place des tanks. C'est l'une des trouvailles pour tourner en dérision l'actuel Parti communiste qui perpétue cette censure drastique des événements de Tiananmen. Les internautes chinois ont détourné la célèbre photo du "Tank Man" qui fait face aux quatre chars. "Si on poste cette photo, on se fait censurer très rapidement. Cette année, il y a eu un montage photo où ils ont repris le canard jaune qui était dans le port de Hong Kong il y a quelques semaines", explique Renaud de Spens, sinologue et spécialiste des réseaux sociaux chinois. Il s'agit d'un canard en caoutchouc réalisé par l'artiste néerlandais, Florentijn Hofman. "Ça donne l'occasion aux internautes de rire de la censure : 'on interdit quatre gentils petits canards'", décrypte le spécialiste.

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Le détournement d'un discours officiel sur l'Histoire. Pour protester contre la censure, les internautes chinois ont également détourné une phrase du discours du Premier ministre chinois, Li Keqiang, le 25 mai 2013, lors de sa visite officielle en Allemagne. "Les Etats qui n'ont pas une vision juste de l'Histoire ne pouvaient pas créer d'avenir", avait-t-il déclaré en faisant allusion au Japon. "Ce discours a été repris. Ça ne peut pas être censuré puisque c'est le discours officiel. Cela engendre de nombreux commentaires ironiques, du genre : 'il pourrait se l'appliquer à lui-même'", remarque Renaud de Spens.

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La disparition des émoticônes de chandelles. Weibo, le principal média d'expression sur la toile chinoise, contient des émoticônes. "Un des plus utilisés par les activistes lors de ce genre d'événements est celui de la chandelle. Cet émoticône avait été utilisé lors du tremblement de terre du Sichuan en 2008. Brûler une chandelle est un moyen de commémorer un deuil. L'an dernier, pour le 4 juin, les Chinois avaient commémoré Tiananmen avec cette chandelle. Depuis lundi soir, elle n'est plus accessible" dans Weibo, assure le sinologue. Mais là encore, les internautes chinois ont trouvé la parade grâce à une "coïncidence météorologique". "Mardi, le ciel est noir à Pékin. Des gens ont posté des photos de la nuit à Pékin et qui écrivent : 'aujourd'hui le ciel est noir et on n'a pas de chandelles à allumer", rapporte Renaud de Spens.

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"Un régime crispé". Vingt quatre ans après les faits, le régime chinois ne "baisse donc pas sa garde" constate Renaud de Spens. Ce tabou mobilise "la censure Internet et médiatique". "Des journaux ont essayé de faire des allusions voilées et ils se sont faits taper sur les doigts", affirme Renaud de Spens. C'est la période où le régime est au paroxysme de sa crispation. "Les universités sont particulièrement surveillées. Les comités de quartiers, qui sont les relais du pouvoir, se transforment en milices d'Etat", analyse le sinologue joint par Europe1.fr qui conclut : "c'est presque comme un mini congrès du parti communiste."